1744-04-02, de Voltaire [François Marie Arouet] à Graf Otto Christoph von Podewils.

J'ay été bien malade mon cher et respectable amy.
Je vais à la campagne dans la solitude de Cirey racomoder si je puis ma déplorable santé. Si vous voulez m'y donner quelquefois de vos nouvelles, elles feront le charme de ma retraitte. J'ay reçu depuis peu deux lettres de votre aimable monarque. Il me parle en langue des dieux du mariage de La divine muse Ulric qui va échauffer les glaces du nord, et faire revivre la reine Cristine; mais il ne me dit rien de la capucinade du vieux pêcheur Pôlnits qui veut faire fortune pour L'autre monde ne pouvant la faire en celuy cy. Que fera t'il dans un couvent? Il fera comme à la cour, il dira du mal de monsieur le prieur, et composera des mémoires.

Nous avons icy monsieur de Rotembourgà qui je souhaitte d'être plus heureux en affaires qu'au jeu. Il a débuté par perdre icy son argent, mais il aura baucoup plus de gloire que de dettes s'il parvient à bien unir la France et la Prusse pour soutenir l'empereur qui est après tout l'ouvrage du roy votre maître et du mien. L'affaire de la Mediterranée, et celle de Dunkerk n'ont servi à la vérité qu'à montrer les ressources et le courage de la France, mais c'est toujours baucoup d'avoir établi tout d'un coup une marine, d'avoir envoyé l'amiral Mathieu se radouberà Minorque et d'avoir inquiété l'Angleterre jusques dans le cœur de cette ile. La déclaration de guerre qui a suivi toutes ces démarches est une nouvelle preuve que votre maître peut se fier à des alliez tels que nous, et redemander hardiment son ammanie de Montford. Il ne tient qu'à luy de s'aprocher du roy de France. On espère que notre roy se mettra à la tête de son armée de Flandres. Je commence à le croire très sérieusement, et je crois de même que sa présence ne sera pas inutile à nos affaires. Un roy avec deux mots, et un regard fait affronter la mort guaiment à cent mille hommes. Puissions nous voir une campagne digne de ses résolutions généreuses, et une paix digne de la campagne. On mariera au commencement de l'hiver notre dauphin avec l'infante d'Espagne. Je suis chargé de la fête, et je vais y travailler à Cirey. C'est monsieur le duc de Richelieu qui m'a honoré de cet employ. Il me semble qu'en travaillant pour luy sous les yeux de madame du Châtellet je suis forcé de bien faire. Daignez m'écrire quelquefois pour m'animer; mais ne m'envoyez plus ces lettres d'un certain bavard qui dit des pauvretés de la meilleure foy du monde. Elles me glaceroient. Seulement s'il vous tombe entre les mains quelque chose de singulier et d'utile ayez la bonté de m'en faire part. Mille respects à l'amie. Madame du Châtelet vous fait les plus sincères compliments.

Ayez la bonté quand vous voudrez bien m'écrire quelque chose d'intéressant de mettre votre lettre sous l'enveloppe de Mr de la Reiniere, fermier général des postes, rue Vivienne à Paris.