13e aoust 1760, aux Délices
Ma nièce est un gros cochon, Monsieur, Comme sont la plus part de vos parisiennes; celà se lêve à midy; la journée se passe sans qu'on sache comment, on n'a pas le temps d'Ecrire, et quand on veut écrire, on ne trouve ni papier, ni plume, ni Encre, il faut m'en venir demander, et puis l'envie d'écrire passe; sur dix femmes, il y en a neuf qui en usent ainsi.
Pardonnez donc, Monsieur, à Madame Denis, son éxtrème paresse; elle ne vous en est pas moins attachée, et elle aimerait encor mieux vous le dire que vous l'écrire; je lui sers de secrétaire; je suis éxact, tout vieux et tout malingre que je suis; il est bien juste que vous ayez un peu d'amitié pour moi puisque mr Moran vôtre confrère en a tant pour mon grand persécuteur Freron.
J'ai eu bon nez d'achever ma vie dans ma douce retraitte, les Frerons, les Pompignans, les Abraham Chaumeix m'auraient livré sans doute au bras séculier; quelle inhumanité dans ce Fréron! de me soupçonner d'être l'auteur de L'Ecossaise.
Un grand Théologien mahometan prétend que Dieu envoie quelque fois un ange chirurgien aux méchants qu'il veut rendre bons; cet ange vient avec un scalpel céleste pendant le sommeil du scélérat, lui arrache le coeur fort proprement, en exprime le virus, et met un beaume divin à la place; je vous suplie de daigner faire cette opération à Freron; mais vous aurez bien de la peine à tirer tout le virus. Je me félicite plus que jamais, de n'ètre pas témoin de toutes les pauvretez qui se font dans Paris, mais je regrette fort de ne point voir un homme de vôtre mérite; comptez que c'est avec les sentiments les plus vifs, que j'ai l'honneur d'être vôtre très humble et très obéïssant serviteur
Voltaire gentilho͞e ord. du roy