ce 1er juin 1734
La dernière lettre que je vous écrivis mon cher amy sur le compte de Jore était fondée sur cecy.
Lors qu'il me tomba entre les mains il y a quelques années des feuilles et des épreuves de cette édition suprimée dont il a été soupçonné, il y avoit des fautes considérables dont je me souviens, et j'ay retrouvé ces mêmes fautes dans les exemplaires qu'on a débitez à Paris.
Y a t'il une aparence plus forte, et n'étoi je pas bien en droit de le soupçonner? Cependant j'aprends qu'on ne le croit pas coupable, et qu'il est en liberté. J'aprends en même temps qu'il a eu avec moy un procédé bien contraire au mien. Dans le temps qu'il étoit en prison, je ne cessois d'écrire aux magistrats et aux ministres pour les assurer de son innocence, et luy au contraire a dit au lieutenant de police que c'étoit moy même qui avois fait faire cette édition qu'on a débitée. Sur sa déposition on a été tout renverser dans ma maison à Paris, on a saisi une petite armoire où étoient mes papiers et toutte ma fortune. On l'a portée chez le lieutenant de police, elle s'est ouverte en chemin et tout a été au pillage.
Je pardonne à J. de tout mon cœur tout ce qu'il a pu dire, et ce qui m'a attiré cette cruelle visite. Je crois qu'étant bien persuadé comme il l'étoit que je n'avois nulle part à cette édition, il a prévu que la visite qu'on feroit chez moy, ne serviroit qu'à ma justification, et c'est ce qui est arrivé.
Pour luy s'il est vray qu'il soit associé avec quelque personne des pays étrangers, et qu'ils aient en effet une édition de ce livre la quelle n'ait point encor paru, je l'en félicite de tout mon cœur, car il est sûr que son édition sera la meilleure, et que tost ou tard il trouvera bien le moyen de s'en défaire avec avantage.
On vient de saisir à Paris une presse à la quelle on travailloit à réimprimer cet ouvrage. Cette presse étoit chez un particulier. Le libraire qui devoit débiter cette édition nouvelle est connu et je croi arrêté. Cette découverte fera deux biens. Elle servira en premier lieu à justifier J . . . , et poura même faire découvrir l'imprimeur de l'édition débitée dans Paris. En second lieu elle intimidera les autres libraires qui n'oseront pas se charger d'imprimer le livre, et alors s'il arrivoit que J. eût des exemplaires des pays étrangers ou autrement il y gagneroit considérablement.
Ainsi de façon ou d'autre il ne peut se plaindre, car s'il a une édition, il la débitera, s'il n'en a point il ne perd rien.
J'ay assuré qu'il n'en a point et je l'assure encor tous les jours. C'est un principe dont il ne faut plus s'écarter. Dans les commencements de l'orage je luy écrivis des choses assez ambigues. S'il m'avoit fait un mot de réponse, il m'auroit rassuré, au lieu qu'il m'a laissé toujours dans l'inquiétude, et j'ay été incertain de ce qu'il feroit et de ce que je devois faire. Sa grande faute est de ne m'avoir point écrit. Que luy en coutoit il de dire, je n'ay jamais vu ny connu cette édition, et c'est ainsi que je parleray toujours?Heureusement il a tenu aux magistrats ce discours dont il auroit d'abord deu m'instruire. Il n'y a donc plus à s'en dédire. Il n'a jamais eu la moindre part à aucune édition de ce livre. C'est ce que je croi, et ce que je soutiens fermement.
Mais cependant le ministère prétend qu'il faut que je luy remette cette prétendue édition que j'avois, dit on, fait faire par J . . . . A cela je n'ay autre chose à répondre sinon que je ne peux changer de langage, que je ne conois pas cette édition plus que J., que je l'ay toujours dit et le diray toujours. Il est bien vray qu'il y a eu pendant plus d'un an des exemplaires impriméz, des lettres philosophiques entre les mains de quelques particuliers de Paris, mais ces exemplaires étoient d'une édition faite en Angleterre de la quelle je ne suis pas le maitre.
Je ne peux pas pour contenter le ministère trouver une édition qui n'existe point, et je peux encor moins me déshonorer en trouvant une édition que j'ay toujours assuré que je ne connoissois pas. Le résultat de tout cecy est qu'il est absolument nécessaire que j . . . m'instruise de tout ce qui s'est passé, que de mon côté je demeure convaincu qu'il n'a jamais pensé à faire une édition, que du sien il demeure tranquile mais surtout que je sache ce qu'il a dit à m. Heraut afin que je m'y conforme en cas de besoin.
J'aprends dans le moment que mes afaires vont très bien, que la découverte de cet imprimeur qui faisoit une nouvelle édition a baucoup servi à ma justification, que tous les incrédules de la cour et de la ville se sont déchainez contre les dévots. Saepe premente deo fert deus alter opem. Ecrivez moy hardiment sous le couvert de l'abbé Moussinot, cloître st Mery, à Paris. Mille compliments à nos amis.