1760-08-13, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean François Marmontel.

Nous avions été un peu allarmés, Monsieur, de certaines terreurs paniques que Messrs les directeurs de la poste avaient conçües, jamais crainte n'a été plus mal fondée; Monsieur le Duc de Choiseuil et madame de Pompadour, connaissent la façon de penser de l'oncle et de la nièce; on peut tout nous envoier sans risque; on sçait que nous aimons le Roy et l'Etat; ce n'est pas chez nous que des Damiens ont entendu des discours séditieux; on ne prétend point chez nous que l'état doive périr, faute de subsides; nous n'avons point de convulsionaires dans nos terres; je déssèche des marais, je bâtis une Eglise, et je fais des voeux pour le Roy; nous défions tous les jansénistes et tous les molinistes, d'être plus attachez à l'Etat que nous le sommes; il est vrai que nous rions du matin au soir, des Pompignans et des Frerons; mais quoique Lefranc ait épousé la veuve d'un directeur des postes, il ne peut empècher qu'on ne me donne tous les ordinaires une Liste de ses ridicules; vous pouvez m'écrire en toute sûreté; le roy ne trouve point mauvais que des amis s'écrivent que Fréron est un bas coquin, et Lefranc un impertinent.
Les pauvretés de la littérature n'empèchent pas que Mr le Mal de Broglie ne soit dans Cassel.

Abraham Chaumeix, Jean Gauchat, Martin Trublet ne m'empècheront pas de donner un beau feu d'artifice à la fin de la campagne.

Mon cher ami, il faut que le Roy sache que les philosophes lui sont plus attachez que les fanatiques et les hipocrites de son Royaume, l'univers n'en sçaura rien, l'univers n'est fait que pour Pompignan; je vous écris cette Lettre en droiture, parce que mr Bouret ne m'a offert ses bons offices que pour de gros paquets. Mandez nous, je vous prie, par qui l'on peut vous sauver doresnavant l'impôt d'une Lettre; dites moi avec quelle nôble fierté l'ami Fréron reçoit le foüet et la fleur de Lys qu'on lui donne trois fois par semaine à la comédie. Donnez nous des nouvelles, surtout de votre situation, de vos dessins et de vos espérances. L'oncle & la nièces s'intéressent également à vous. Présentez mes respects je vous prie à madame de Geoffrin; si vous voïez mr Duclos dites lui, je vous prie, combien je l'estime, et à quel point je lui suis attaché; mais surtout soiez bien persuadé que vous aurez toujours dans l'oncle et dans la nièce, deux amis éssentiels.

Est il possible qu'il y ait encor quelqu'un qui reçoive Fréron chez lui? Ce chien fessé dans la rüe peut-il trouver d'autre azile que celui qu'il s'est bâti avec ses feuilles? est-il vrai qu'il est brouillé avec Palissot, et que la discorde est dans le camp des ennemis? Contribuez de tout vôtre pouvoir à écraser les méchans et la méchanseté; les hipocrites, et l'hipocrisie. Aiez la charité de nous mander tout ce que vous sçaurez de ces garnements; mais comme il faut mèler l'agréable à l'utile, parlez moi de Melpomène Clairon; que fait-elle? que dit-elle? que joüera-t-elle? lui a t'on lu d'une voix fausse et grêle, le triste Drame écrit pour la Denêle? Quelque chose qu'elle joüe ce sera un beau tapage quand elle reparaîtra sur la scène. Adieu, si vous avez envie de faire quelque tragédie, venez la faire chez nous; c'est avec ses frères qu'il faut réciter son office.

Je vous embrasse de tout mon cœur.

V.