Geneve ce 23e mars 1776
Monseigneur,
Je vous rend bien des grâces de la lêttre du 12 dont Vôtre Altesse Sérénissime m'a honorée.
Je l'attendois avec la plus grande impatience. Je ne puis vous exprimer mon Cher Prince le plaisir qu'elle m'a fait, puisqu'elle m'aprend que l'air de Veissenstein vous redonne des forces. J'espère qu'elles continueront de revenir par le beau tems, et que j'aurois la satisfaction D'aprendre que mon trés cher Prince est entierrement Guerri. Dieu le veuille, ce sont les Voeux que je fais tous les momens de ma Vie.
Je suis charmée que Mr de Luchet ay plût à Vôtre Altesse Sérénissime. Plus Elle le connoitra et plus Elle en sera contente. J'en reçeu une lettre aussi du 12 qui me dit combien il se trouve heureux d'avoir eû le bonheur d'aprocher d'un si grand Prince. Il ne peut se taire sur ce qu'il trouve en Vôtre Altesse Sérénissime soit dans la Litérature, soit dans vôtre prodigieuse mémoire qui se souvient de ce que vous avez lûs, disant le tome, Page &c. C'est dit il ce qu'il n'a jamais vû dans aucuns Prince. Il est pénétré de la bonté que vous lui avez témoigné en le recevant avec cette même Bonté qui vous est si naturelle. Il a D'abord vû combien vous rendiez heureux tout ce qui entoure vôtre Altesse Sérénissime de même que tous vos sujets.
J'allay porter moi même Vôtre lêttre à nôtre ami, qui la reçeu avec Une joye infinie. Il me dit que quoi qu'il espéroit que mr de Luchet Vous plairoit, il n'étoit tranquille là dessus qu'en L'aprenant de vous même. Il me chargea de vous faire mille remerçiemens et de le mêtre à Vos pieds avec toutes la vénération qu'il à pour Vôtre Altesse Sérénissime. ‘J'ose dire’, dit il, ‘la tendresse que j'ay pour Elle’. Je le trouvois fort bien. Il reçeu pendant que j'y étois Une lettre de la veuve de Fréron qui est mort le 10e de ce mois. Elle lui disoit, ‘mon mari a été le plus Cruel ennemis que vous ayez eû, j'espère que vous lui pardonnerez à sa mort, et j'en suis si sûre, que vous prendrez sa fille auprès de vous, que vous l'élèverez et la marierez, car Elle est dans la dernierre misère, mon mari n'ayant pas laissé le sol’. Mr de Luchet dira à Vôtre Altesse Sérénissime (si elle L'ignore) combien cette lettre est extraordinaire.
Je dis à nôtre ami qu'il faloit qu'elle le connût bien pour se jetter dans ses Bras aprés tous les sujets qu'il avoit de se plaindre de Fréron. Il se mit à rire pour toute réponse. Je ne finirois point si je disois à Vôtre Altesse Sérénissime tout ce qu'il me chargea de lui dire de sa part. Il ne cesse de désirer ardamment de la Voir encore Une fois. Il a fait bâtir un théâtre à Fernex où l'on joüera deux fois la semaine, et les autres jours la même troupe joüera à Chatelaine, mais si nôtre grand Prince vient, on jouera à Fernex tout le tems qu'il y seroit. Dieu veuille que nos Voeux soient remplis. . . .
Je vous conjure Monseigneur de me donner de vos nouvelles qui m'intéresse mille fois plus que je ne peus L'exprimer. Vous en êtes bien persuadé de même que des sentimens tendres et du profond respect avec lequel je suis
Monseigneur
De Vôtre Altesse Sérénissime
La trés humble et trés obéissante servante
Gallatin née Vaudenet
Mon mari et ma fille prient Votre Altesse Sérénissime de recevoir leurs plus profonds respects.