1772-11-06, de Louise Suzanne Gallatin à Frederick II, landgrave of Hesse-Cassel.

Monseigneur,

Je ne puis exprimer à Vôtre Altesse Sérénissime la satisfaction que je ressens de sa bonne santé, C’est Mon Cher Prince le plus grand bonheur que j’ay en vôtre absense que de vous savoir bien portant.
Dieu veuille que cela Continue bien Long tems, ce sont les vœux Continuel que je fais jour et nuit, vous en êtes bien sûr, Connoissant mes sentimens, qui sont invariables pour toujours, rien au monde n’est plus vray.

Je remis à nôtre ami vôtre lettre par ma fille ne pouvant pas y aller moi même. Jugez de la joye qu’il en eû par le miracle qu’elle opéra, c’est que nôtre ami qui ne vas nulle part, pas même rendre des devoirs à des Princes Russe qui le sont allé voir, n’y à plusieurs autres seigneurs, &c., vint le lendemain (qu’il eû receu la lêttre dont vous l’avez honorée) me voir, et resta deux heures chez moi uniquement pour parler de son Prince Philosophe, et cela avec une tendresse si grande qu’il en avoit les larmes au yeux. Il n’étoit point habillé, il me fait l’amitié de dire que je suis au dessus de ses cérémonies vaines, qu’il nomme des miséres. Il étoit très gay, vôtre lêttre lui avoit donné un feu qui parroissoit le rajeunir. Je le lui dit, et même je l’assurois qu’il y avoit tout lieu d’espérer que vôtre prédiction qu’il viendrois à Cent ans s’effectueroit selon toute les apparance. ‘Ah Madame, si j’avois le bonheur de voir ce grand et Digne Prince, je crois que cela me donnerois des années, mais Cent Ans, Dieu vous en préserve, vous seriez assommée de mon radotage, il n’y auroit que le nom de ce grand Prince que sans doute j’aurois toujours dans la bouche qui pourroit me faire supporter de vous, car nous pensons de même sur son Conte. Mêttez moi à ses pied je vous Conjure pour le remercier de ses bontéz. M’écrire, m’envoyer des fruits de son jardin, que de grâces je reçois, que j’en suis penêtré! Dites lui bien Madame Combien je sens le prix de son amitié, Combien je tâcherois de me rendre digne qu’il me la Continue. Ah si j’avois le bonheur de le voir je mourrois Content!’

Je ne vous dis pas Monseigneur tout ce qu’il me dis, je ne finirois point. Je ne reçeu personne pendant qu’il fut Chez moi, pour le mêtre à son aise. Il ne parti que de nuit, quoi que je le priois plusieurs fois de s’en aller avant le Coucher du soleil, dans la Crainte qu’il ne s’en trouva mal. J’allay le lendemain le voir étant véritablement inquiétte que sa santé ne se senti de cette promenade. Je le trouvay très bien, et je lui promis de vous Ecrire pour lui, qui actuëllement lui fait une tention dans la tête quand il Ecrit lui même, aussi il ne fait plus que dicter.

Ma fille Cadette est Chez Lui depuis deux jours, il me fit prier hier de la laisser jusqu’à aujourd’huy et qu’il me la ramènerois, mais j’ay fais dire à ma fille de l’en empêcher, car les jours son trop Court, le froid lui est Contraire, et nous voudrions le conserver bien portant.

On est si accoutumé dans ce Paÿs cy que mr de Voltaire ne vas nulle part au monde, et on est si occuppé de tout ce qu’il fait, que plusieurs personnes m’aprirent qu’il étoit venu me voir, ce qui étonnoit à un point inoüis. Je dis qu’on Lui avait ordonné pour sa santé de se promener en voiture, et qu’en passans à ma porte il étoit entré pour me dire quelques chose; ne voulant pas faire de la peine à ceux qu’il ne vas pas voir, je pris ce prétexte quoi que sûrement il s’embarrasse peu de ce qu’on pense là dessus. Je n’ay pas encore receu les Pattes et graines d’asperges. Au moment qu’elles arriveront j’auray l’honneur de le mander à Vôtre Altesse Sérénissime. Je suis encore en Campagne jusqu’en décembre. Nôtre ami voudrois que j’y passa l’hiver, oû à Fernex, mais il m’est impossible. J’irois le voir souvent depuis la Ville. J’espère que Mon Cher Prince me mêtra à même de lui porter souvent de ses nouvelles, je n’ose plus parler de l’espérance que vous me donné de vous voir l’année prochaine, je crains d’être indiscrette. Je me flate qu’ayant tant de bonté, vous ferez vôtre possible pour nous rendre heureux. Dieu le veuille, je n’aurois plus rien à dézirer si j’ay la satisfaction de voir Mon très Cher Prince. En vérité je crois que si je n’ay pas ce bonheur, qu’il n’y a rien que je ne fasse pour pouvoir aller moi même à Cassel, ne fût-ce que pour le voir quelques jours. Hélas que de projets! et suis-je assurée que Mon Cher Prince le trouverois bon? N’en parlons pas, vivons dans la douce espérance qu’il viendras l’année prochaine. S’il a cette bonté, il me le mandera, et j’iray à sa rencontre pour le voir plus vitte. Nôtre ami recois à présent trois services de Porcelaine de Saxe oû de Berlin que S. M. Le Roi de Prusse lui envoye. Je suis sûre que quoi qu’il soit senssible à cet honneur, il ne met point de comparaison avec L’amitié dont vous l’honnoré, rien ne lui est si cher que cette amitié, il la met au dessus de toute chose au monde, il ne connois rien au dessus n’y qui aproche de son Prince Philosophe; pour, moi Monseigneur je sens combien vous mérité l’adoration de tous ceux qui ont le bonheur de vous aprocher, la mienne pour Vôtre Altesse Sérénissime est au dessus de tout ce qui peut s’exprimer, oui Mon Cher Prince je suis à vous sans réserve, et tant que je vivray j’aurois ce centiment, il est né chez Moi au moment que j’ay eu le bonheur de connoitre Vôtre Altesse Sérénissime, il n’a jamais varié, et ne variera jamais, je vous prie de n’en point douter. Je suis avec la plus grande tendresse et le plus profond respect

Monseigneur

De Vôtre Altesse Sérénissime

La trés humble et trés obéissante servante

Gallatin née Vaudenet

Mon marie et mes filles en faisant mille remerciemens à Vôtre Altesse Sérénissime de son souvenir, La prie de recevoir leur profond respects.