Pregny ce 19e 8bre 1774
Monseigneur,
J'espérois que Vôtre Altesse Sérénissime auroit la bonté de me donner de ses nouvelles, sachant L'inquiétude oû je suis sur sa santé.
Je n'en ay point, ce qui m'aflige véritablement. Je vous Conjure Monseigneur de m'écrire un mot, je ne serois tranquille que quand je verray Vôtre Ecriture. Vous connoissez Monseigneur ma sensibilité sur tout quand il est question de Vôtre Altesse Sérénissime, je vous suplie de me Calmer là dessus, et de me dire si les Remèdes de mr Joly ont été pris, et s'ils vous ont fait du bien. Dieu le veuille. J'attend avec la dernierre impatience un mot de votre part, dont je vous aurois la plus grande obligation. Pour moy j'ay bien eû de la peine à me remêtre, il m'est resté de ma maladie des foiblesse et douleurs aux deux genouil qui passeront sans doute, ce que je ne dézirerois pas trop s'il n'y avoit de remèdes que les bains de Geismar, mais n'en parlons pas. Je Crois au Contraire que j'ay ennuié assez Longtems Vôtre Altesse Sérénissime, et ce qui me le fait Craindre c'est de n'avoir point de lêttre de Monseigneur, c'est cependant La seule chose qui pourroit me Consoler en partie de son absence, si quelque Chose pouvoit le faire; je n'ay été en état d'aller voir notre ami que mercredi dernier mr Joly n'ayant pas voulut que je m'exposa plus-tôt, et de là je vins coucher ici, oû je resterois jusqu'au millieu de novembre si le beau temps continue. Si Vôtre Altesse Sérénissime avoit vû nôtre abord avec nôtre ami, Elle en auroit été touchée. Les larmes lui vinrent aux yeux, il ne pouvoit cesser de m'embrasser, il ne me donnoit pas le temps de lui parler, il n'étoit occupé que de son grand Prince. ‘Vous avez donc vécu avec se digne souverain! Ah madame que vous êtes heureuse! Avez vous parlé de moi enssembles? lui avez vous bien dit Combien je le vénère, Combien je lui suis attaché? ne l'avez vous pas Conjuré de me donner la satisfaction de le voir encore une fois, et qu'alors je mourray Content?’ Je lui dis que Vôtre Altesse Sérénissime L'aimoit tendrement, qu'elle déziroit fort de le voir, et qu'il n'étoit pas impossible qu'elle lui donna cette satisfaction L'année prochaine. ‘Ah Madame, ma bonne amie, peux-je avoir cette espérance, vous L'a-t'il fait espérer à vous même, serions nous assez heureux pour avoir ce bonheur?’ Je L'assurois que vous déziriez de pouvoir venir, et que sûrement il auroit la plus grande part à vôtre voyage si vous pouviez le faire. Il me témoigna la plus tendre inquiétude sur ma maladie, et sur tout pendant le grand danger oû j'avois été. Mad. sa nièce lui disoit tous les jours que j'étois mieux, et il aprit enssuitte que c'étoit le temps oû j'étois le plus mal que L'on lui disoit le Contraire. Je lui dis que ce qui L'inquiettoit le plus sur mon Conte c'étoit la Crainte oû il étoit de ne pas m'entendre parler de Vôtre Altesse Sérénissime. Il me répondit que ma santé lui étoit Chère, que je n'en doutois pas, mais qu'il avoüoit qu'il craignoit autant de me perdre pour Vôtre Altesse Sérénissime que pour lui, que j'avois tant de preuves de L'amitié dont vous m'honoriez qu'il étoit Convaincu que vôtre affliction auroit Egaler la sienne. Jugez Monseigneur si je n'étois pas bien flatée qu'il vous donna se sentiment, que je mérite par ceux que j'ay pour vous. Rien n'est plus vray en vérité, vous en êtes bien sûr; Enssuitte il me fit dix mille Questions, il falut que j'entra dans tous les détails possible, mais ce qui L'enchantoit c'étoit les bontez de Vôtre Altesse Sérénissime pour son Peuple, les festes du dimanche aux Paysans à Geismar, votre familliarité dans ces occasions, tout cela lui faisoit faire des cris d'admiration. ‘Hé bien Madame me suis je trompé? n'est-ce pas un homme que Mon Prince Philosophe?’
Quand je lui dis que tout le monde étoit admis auprès de Vôtre Altesse Sérénissime, que vous voyez tout, lisiez vous même tous les Placet, Requette &c. que vous ne renvoyé personne, et que vos affaires alloit avant tous les plaisirs, il s'écria, ‘Voilà un Vray souverain qui mérite L'adoration universelle. Mais Madame êtes vous bien sûr qu'il m'aime?’ ‘Jugez en’, dis-je, ‘en arrivant à Cassel son Altesse Sérénissime en me parlant de sa Cascade me dit qu'il vouloit faire mêtre dans la grande grotte le Portrait de son bon ami’. Il fut si sensible à cette marque d'amitié qu'il resta sans parler faisant des mouvemens d'admiration. ‘Ah Madame faisons des voeux pour la conservation de se grand Prince, dieu veuille le rendre heureux. L'est-il? dite le moi’. Je Lui dis que je l'espérois, et que je n'avois rien vû qui pût m'en faire douter, Car Monseigneur ce qui vous intéresse m'est si sacré que je n'ay jamais parlé différemment, d'autant plus que je me flate que vous êtes àprésent plus tranquille, ce que personne ne dézire plus vivement que moi; il me fit aussi plusieurs Questions sur Son Altesse Royale Madame La Landgrave auqu'elles je répondis Comme je le devois, en Lui disant toute les Bontez qu'elle avoit eüe pour nous . . . . Tous ses Dézirs n'ont d'autres objets que de voir encore une fois son grand Prince. Je restois enfermée quatre heure de suitte dans son Cabinet, à Parler d'un Prince qui nous est si cher. Il vint plusieurs étrangers, pour le voir. Il renvoya tout le monde. Je dois y retourner dès que je serois un peu mieux de mes genouil. Je ne finirois pas si je vous disois tout ce qu'il m'a chargé de vous dire, il se met à vos pieds, vous demande la Continuation de vos bontez, et moi je vous suplie de m'accorder la même grâce, et quelques Lignes dont j'ay un grand besoin ce qui est aussi vray que mon tendre attachement pour Votre Altesse Sérénissime et Le profond respect avec lequel je suis
Monseigneur
De Vôtre Altesse Sérénissime
La très humble et très obéissante servante
Gallatin née Vaudenet