Genêve ce 2e février 1774
Monseigneur,
La lêttre dont Vôtre Altesse Sérénissime m’a honorée m’a fait comme toujours le plus sensible plaisir.
Elle m’en auroit fait bien davantage, si Elle m’eut apris que Vôtre santé est bonne, mais ces misérables maux de Dents sont trop fréquens, et vous m’effrayé Monseigneur quand Vous dites que les Chagrins Continuent et qu’ils minent peu à peu. Vos projets de venir dans ce Paÿs que les Circonstance détruise Continuellement, m’ont fait penser Comment je pourrois avoir le bonheur de voir Vôtre Altesse Sérénissime, Vôtre bontez de vouloir vous charger des fraix que je serois obligée de faire pour faire ce voyage, m’a Livrée à des Combats avec moi même. J’ay été voir nôtre ami, je Lui ay dit ma position et La grande Envie que j’avois de Voir Altesse Sérénissime, La crainte oû j’étois que ce ne fût abuser de vos bontez; à tout cela il m’a dit, ‘Que ne suis-je en état de vous accompagner pour avoir le bonheur d’aller aux pieds, de ce grand Prince, le voir avant de mourrir? N’ézité pas Madame, partez, je répond de ses sentimens d’amitié, il vous en donne des preuves trop fréquentes pour ne pas aller L’en remercier vous même. A L’égard de la Dépense quelqu’en soit L’objet ce n’en sera jamais un pour un si grand et si digne souverain. Je le répête Madame sans mon grand âge Ce seroit la plus grande satisfaction que je pûs avoir que d’aller Lui témoigner ma vénération, et il me semble que c’est une douceur pour moi de sentir nôtre bonne amie auprès de lui, qui me dira, Je l’ay vû, nous avons parlé de vous; je vais prendre la liberté de lui écrire, je suis si pénêtrée qu’un si grand Prince conserve une amitié si Constante, et si Rare dans un si grand souverain que je ne peut que L’admirer à un point inoüi. Puisque Mr Gallatin a un Employ Public qui le rend Esclave de la République, il faut partir avec Melle Vôtre fille, et Prier son Altesse Sérénissime d’écrire à mr Mallet son Résident de vous accompagner’. Voilà Monseigneur mot à mot ce que nôtre Ami me dit. Il n’avoit pas besoin de me presser sur une chose que je désire si ardamment, ainsi je me suis décidée (en ayant obtenu la permission de mon mari qui a un grand regret de ne pouvoir m’accompagner) d’aller à Geismar dans le temps que Vôtre Altesse Sérénissime doit y être, mais il faut que vous ayez la bonté d’écrire à Mr Mallet pour l’engager à venir m’accompagner. Je me suis aussi chargée de la part de Mr Mallet de Vous faire ses très humbles remerciemens sur la bonté que Vous avez eû de lui accorder ce qu’il avoit pris la liberté de vous demander pour Mr le Proffesseur de Saussure, c’est par discrétion que mr Mallet ne le fait pas lui même, pour ne pas accabler Vôtre Altesse Sérénissime de Lêttres Inutiles.
Je vous serois très obligée Monseigneur de me répondre incessamment sur le temps que vous serez à Geismar, parce qu’il faut que j’en sois instruite le plutôt qu’il sera possible, afin de mêtre ordres à mes affaires pour que je puisse partir quand vous m’en donnerez l’ordre. Comme tous les détails de la Campagne m’occupe seule mon mari ne pouvant pas le faire, je souhaitterois pouvoir y mêtre ordre pour quelques semaines, car je crois que pour aller venir et séjourner quelques jours à Geismar il faut au moins un mois. Je vous prie donc Monseigneur de me répondre le plus tôt que vous le pourrez. Nôtre ami attend cette réponse avec La même impatience. Il étoit si content que son Prince philosophe fit plus de cas de L’amitié que des Grandeurs, qu’il ne pouvoit cesser d’en parler. Il se porte très bien, il attend dit il mon retour de Geismar avec Grande impatience, et moi la lêttre de Vôtre Altesse Sérénissime, et La permission à mr Mallet de m’accompagner.
Je vous prie Monseigneur de ne parler de mon voyage à personne, ne voulant pas que l’on le sache ici avant mon départ, aussi n’y a t’il que nôtre ami et mon mari qui en soit instruit, et nous Gardons un grand silence là dessus. Pour ma fille je ne le lui dirois que peu de jours avant car je craindrois que sa joye ne la trahit. Elle Conserve si bien les bontez que Vous avez eüe pour Elle quand Elle eû l’honneur de voir Vôtre Altesse Sérénissime à Fernex et à la Comédie, qu’elle a déjà fait mille projets pour amuser Vôtre Altesse Sérénissime si Elle venoit à Genêve.
J’espère pouvoir vous envoyer un ouvrage de nôtre ami incessamment, mais il n’est pas fini, il y travaille . . . .