Pregny ce 18e 7bre 1772
Monseigneur,
La lettre dont Vôtre Altesse Sérénissime m’a honorée m’a fait le même plaisir que me font toutes celles que je reçois d’elle.
Ce qui m’en fait un bien plus grand, c’est Vôtre bonne santé, qui m’est plus Chère que je ne puis L’exprimer. Dieu veuille qu’elle Continue toujours de même. Vous êtes bien sûr des Voeux que je fais pour Cela; j’ay bien des remerciemens à vous faire des Programes que vous avez eu la bonté de m’envoyer. Ces Ballets devoient faire un effet superbe. La Vestale est dit on bonne, mais nôtre ami dis qu’elle a été défendue de joüer à Paris. Je suis charmée Monseigneur que vous vous amusiez, j’aurois désirer ardamment que nous eussions pût Contribuer à vos plaisirs dans nôtre Paÿs, mais je n’ose plus rien dire Là dessus. Vous ne le pouvez pas cette année. Je suis comme nôtre ami, je vis dans l’espérance, et je me flate que L’année prochaine sera plus heureuse pour moi.
Je suis sensible autant que je le dois à la Complaisance que vous avez de m’envoyer des pattes d’asperges. Nôtre ami a voulû vous remercier Lui même, voilà sa lêttre. Il me dit qu’il ne faloit plus vous presser de venir, qu’il voyoit bien par toutes les preuves que vous nous donniez de votre amitié, que vous nous donneriez celle là s’il vous étoit possible, qu’il faut espérer que nous aurons le bonheur de vous voir L’année Prochaine, et qu’il ménagerois sa santé le plus qu’il pourroit pour avoir encore La satisfaction de voir Vôtre Altesse Sérénissime avant de mourrir. Je lui portois vôtre lêttre. Il fut si pénêtré de joye de tout ce que vous mandiez pour Lui, qu’il ne savoit comment le témoigné. L’article oû vous disiez que je vous averti si je découvrois quelques chose dans vôtre Paÿs qui lui fit plaisir afin de le lui envoyez, le pénêtra à un point inouïs. ‘Quel Prince Madame, quel bonheur de pouvoir vivre avec lui.’
Je restois seule avec lui très longtems. Vôtre lettre lui donna une gayeté oû je ne l’avois pas vû depuis très long tems. Il a toujours été bien depuis il y a 6 jours. Hier il vint faire faire une répétition de Mahomet au Comédiens de Chatelaine parce que le fameux le Kain est venu exprès à Fernex voir nôtre ami, et lui a offert de joüer 3 oû 4 fois ses pièces. Il a joüé Adelaide du Guesclin Lundi, aujourd’huy Mahomet, et samedi Sémiramis. On fut obligé Lundi de prendre des précaution pour la sûreté du Théâtre, et pour qu’il n’y entra pas plus de monde qu’il n’en pouvoit Contenir. On mit des gardes partout et malgré cela on y étouffoit. J’y fut avec mes filles, de même que nôtre ami, qui faisoit des exclamations tout haut par le plaisir que lui donnoit le Kain. Il est vray qu’il est étonnant, nôtre ami ne peut s’en taire; mais mon Cher Prince Combien j’ay souhaitté hier que vous eussiez assisté à la répétition de Mahomet. Nôtre ami instruisoit les acteurs et tout d’un Coup l’impatience le prit, une sçenne oû Seïde ne le contentoit pas, il lui dit, Je vais la joüé, et éffectivement il joüa cette sçenne avec un feu qui nous surpris tous, Car j’y alloit dés le matin, et Comme on joüoit L’après dinée le Silvain et les deux avares, j’y restay, pour voir ensuitte les deux derniers actes de Mahomet qu’on avoit pas pût finir le matin. Nôtre ami soutint cette journée à merveille, et m’assura le soir en partant pour Ferney qu’il n’en étoit point incomodé, quoi que nous y fussions resté en deux fois huit heures. Il est certain que la lettre de Vôtre Altesse Sérénissime Lui a donné une grande gayeté. Que seroit-ce s’il avoit le bonheur de la voir? Venez mon Cher Prince L’année Prochaine rendre heureux les deux personnes qui vous sont le plus attachée, etq uivous aiment tendrement. Vous êtes un Prince à qui il est permis de parler ainsi, mettant L’amitié au dessus des grandeurs, nous n’en sentons pas moins le respect qui vous est dû.
Mon mari et mes filles prient Vôtre Altesse Sérénissime de recevoir leurs profond respects.
Je ne parle plus de ce pauvre Mallet. Je ne sais oû il est, ce que je sais c’est que je cherche quelqu’un qui puisse le remplacer mais je veux être bien sûre que se soit un bon sujet. J’ay été trop afligée que Mallet n’aye pas pût Contenter Vôtre Altesse Sérénissime, mais c’est un fou, qui fait pitié; Pardon mon Cher Prince des ratures, si le courrier ne partois pas dans l’instant je copierois ma lettre. Je suis avec les sentimens les plus tendres, et le plus profond respect
Monseigneur
De Votre Altesse Sérénissime
La trés humble et trés obéissante servante
Gallatin née Vudenet