Pregny ce 12e aoust 1772
Monseigneur,
Je suis dans La plus grande inquiétude que Vôtre Altesse Sérénissime ne soit malade, n’ayant aucune réponse à la lêttre que j’eu l’honneur de lui Ecrire il y a 6 semaines.
Je vous conjure à genouil de me tirer de peine, un seul mot, que Mon Cher Prince est bien, me mêtra du baume dans le sang. Etes vous encore à Geismar? les bains vous ont il fait du bien, et Les Eaux? Vous savez Monseigneur que rien au monde ne me touche si vivement que vôtre santé. Elle m’est mille fois plus préçieuse que la mienne, vous en êtes bien sur. J’attend de vôtre bonté ordinaire que vous m’en donnerez des nouvelles incessamment, et je vous en suplie.
J’ay été dans la dernierre surprise que mr Mallet avoit quitté Cassel, je l’apris par une lêttre qu’il m’écrivit de Francfort (à Laquelle je n’ay pas daigné repondre). Comment ce malheureux jeune homme atil fait pour ne pas sentir le prix de vos bontez? est il devenu fou? qu’est-il arrivé? Sa lêttre est si entortillée que je n’ay rien pû y comprendre. Il paroit vouloir se justifier sur son retour. Son discours Inaugural m’avoit déja déplut souverainement. J’ay prévût qu’il devoit faire un mauvais effet dans vôtre accadémie. Dieu veuille qu’il change, il ne tenoit qu’à lui d’être heureux, il y avoit de l’étoffe pour faire un bon sujet, il avoit le bonheur D’être avec le plus digne des Princes. Que deviendrat-il? Je suis désolé de m’être interressée pour lui, de même que nôtre ami qui est trés fâché qu’il n’ait pas tourné son génie de façon à vous plaire. Je vous fais mille Excuses de vous avoir demandé vôtre protection pour Lui. Puisqu’il a si mal senti son bonheur, il n’en étoit pas digne. Nôtre ami ne sait que penser à ce sujet. Nous sommes d’accord pour le pleindre et pour ne nous plus mêler de lui. Je vous serois très obligée de me mander ce qui Lui est arrivé. N’en parlons plus, cela me donne de l’humeur. Je ne crois pas qu’il s’avise de venir nous voir. C’est un cas bien malheureux pour sa mère et sa famille qui est généralement estimée et honorée dans nôtre Paÿs.
Je passay avant hier la journée entierre avec nôtre ami, qui est bien à 78 ans. Peu s’en falut qu’il ne vint avec moi à Gex oû j’avois affaire. Je pris son Carosse et revins passer la soirée avec lui. Vous pensez bien Mon Cher Prince que nous parlons Continuellement de Monseigneur Le Landgrave quand nous sommes enssembles. Il me disoit, ‘Ah Madame, nôtre grand Prince ne nous aime plus, il ne vient pas, parce qu’un Cadavre Comme moi L’épouvante. Cependant il me rendroit des années. Certainement le plaisir que j’aurois de voir Son Altesse Sérénissime me donneroit quelques années de plus’. Je l’assurois que vous désiriez fort lui donner cette satisfaction, je lui lûs la dernierre lêttre dont vous m’aviez honorée, il la dévoroit, je lui dis que j’avois l’honneur de Connoitre Vôtre Altesse Sérénissime dès son bas âge, que vous ne retiriez pas vôtre amitié sans de grand sujets de pleinte, et qu’il n’étoit pas dans le Cas, que je lui répondois qu’il vous étoit cher et que vous L’aimeriez toujours. Je ne peux vous Exprimer Monseigneur la joye qu’il avoit quand je lui affirmois vos bontez pour lui. Je lui dis que je voulois prendre la liberté de vous demander des Pattes et de la graine d’asperge de vos jardins. La dessus il me dit qu’il y avoit Longtems qu’il désiroit d’en avoir, mais qu’il n’avoit jamais osé me prier de vous en demander pour lui. Alors ce qui lui fit grand plaisir, c’est quand je l’assurois que ce seroit un moyen très sûr que j’en eû pour moi, dès que Vôtre Altesse Sérénissime s’auroit qu’il en souhaitte lui même, qu’ainsi j’allay vous prier de nous en envoyer. ‘Hé bien’, me dit-il, ‘dès que Monseigneur aura répondut là dessus, s’il ne trouve pas que c’est prendre trop de Liberté, j’aurois l’honneur de lui Ecrire. En attendant mêttez moi à ses pieds je vous Conjure, dussai-je ne m’en relever jamais, trop heureux d’y mourrir.’
J’ose donc Mon Cher Prince en son nom et et au mien vous prier de nous en envoyer pour les planter, et semer, au mois d’octobre. J’espère que vous nous accorderez cette demande, et que vous me pardonnerez cette indiscrétion. J’ay tant de preuves reïtérées de vos bontez, que je ne doute pas de vôtre indulgence à cet Egard, et je vous en fais d’avançe mille remerçiemens. Si vous avez la bontez de nous envoyer ces Pattes et graines d’asperge, je vous prie que ce soit par la voye la moins Couteuse, je crois par les Chariots de poste. Mais ne nous envoyé rien et venez vous même, alors nous n’aurons plus rien à désirer. Quand aurois-je le Bonheur de voir mon Cher Prince, attendu depuis si long-tems? Que je serois heureuse si vous nous donniez cette marque d’amitié! Oserois-je vous dire que deux fois j’ay pensé partir pour avoir la satisfaction de vous voir, mais tant d’obstacles ce présente, mon mari qui ne pouvoit m’accompagner. J’aurois été Contente de voir Monseigneur Le Landgrave de quelques Coin, ce n’est point dans sa gloire, c’est sa seule personne, qui est tout pour moi. Dieu veuille que j’aye ce bonheur bientôt, nous ferions L’impossible pour amuser Vôtre Altesse Sérénissime, et pour ne lui pas faire regréter la bonté qu’elle auroit en venant ici. Mon Cher Prince prenez une bonne résolution. Vous aimez si fort à faire des heureux, mêtrez nous du nombre, tous mes voeux sont ce seul objet, de voir Mon Cher Prince, de lui prouver mes sentimens qui sont au dela de L’Expression. Oui Monseigneur vous êtes la personne la plus aimée, la plus respectée et honorée. Cela ne doit pas vous surprendre, vous êtes fait pour Cela. Vôtre humanité, toutes vos Qualitez, vous font adorer, plus par moi que par qui que ce soit. Rien n’est plus vray que mon tendre attachement et mon profond respect avec lequel je seray pour la Vie
Monseigneur
De Vôtre Altesse Sérénissime
La très humble et très obéissante servante
Mon mari et mes filles prient Vôtre Altesse Sérénissime de reçevoir leurs plus profond respects.
Gallatin née Vaudenet