Geneve ce 11^e Janvier 1772

Monseigneur,

J’ay toujours de nouvelles grâces à rendre à Vôtre Altesse Sérénissime, je ne puis vous Exprimer ma recconnoissance Comme je la sens, de la faveur que vous m’accordé d’agréer M^r Mallet dans Vôtre Académie, avec Les 500 Ecus d’apointement.
Je me flate que Vôtre Altesse Sérénissime n’aura pas de sujets de me faire des Reproches à cet Egard, et que ce Monsieur fera L’impossible pour mériter Vôtre protection. Il est trés instruit, fort timide. Ayant toujours été attacher à L’étude, il n’a pas L’usage du monde Comme un autre, mais il à trop d’esprit pour ne pas reüssir. Nôtre ami en fait grand Cas. Je n’ay encore pût le voir pour lui porter Vôtre lettre, étant enfermée depuis quatre semaine dans la Chambre de mon mari qui a une fluxion sur les yeux si affreuse, que malgré les seignées, médecine renouvellée, véssicatoire, petit Lait, Eau de selter, Bains de pieds, il ne peut encore les ouvrir, surtout L’un dont il ne voit point. Jugé de mes allarmes. Cependant on m’assure qu’il n’y a point de danger et qu’il se rétablira. En attendant je ne le quitte pas un instant, et suis si inquiètte que j’en ay une insomnie trés grande. Joignez à Cela L’inquiétude oû je suis pour Mon Cher Prince. Cette Jambe droite Enflée, qui Empêche de mêtre des bottes et des souliers, me fait baucoup de peine quoi que m^r Joly m’assure que cela arrive souvent, sans qu’il y ait le moindre danger. Au nom de Dieu Monseigneur donné moi des nouvelles de vôtre santé, et faites quelques Choses pour cette misérable pituite qui àforce de vous empêcher de dormir Vous échauffera le sang. Ne mangé rien de fort n’y de sallé. La plus grande obligation que je puisse avoir à Vôtre Altesse Sérénissime, c’est d’avoir soins de Vôtre santé, je vous le demande à genouil.

Monsieur Mallet seroit parti sur le Champ sans un petit accident qui lui est arrivé, il est tombé sur la glace, et s’est froissé une jambe, mais comme il est baucoup mieux, il Conte de pouvoir partir incessamment. J’espère qu’il sera en chemin dans huit jour. Il est trop penêtré des bontés de Vôtre Altesse Sérénissime pour n’avoir pas le plus grand regret de n’avoir pas pût partir à L’instant pour vous en aller remerçier, et vous servir. Il est proche parent de m^r Mallet Vôtre Résident. Il n’est pas aussi près de Ceux de la Cour de S^t Pierre, mais c’est toujours la même famille; m^r Mallet votre Résident est dans un état d’inquiétude des plus vifs, il a été mordu par un chien au bras droit, on croit ce chien enragé, on a tout de suitte mis le feu à la playe de m^r Mallet, on garde le chien pour s’avoir ce qu’il deviendra. Cet accident arriva il y a deux Jours. Ce qui cause des inquiétudes c’est que le même chien (qui apartient à m^r Mallet) a aussi mordu un chien et un chat. Cependant on m’assura hier qu’il avoit bût du lait. On doit faire le remêde anglais à m^r Mallet. Il m’a fait dire hier au soir qu’il étoit plus tranquille. Toute la ville s’interresse à lui. J’espère qu’ayant pris les précautions nécessaires, qu’il en sera quite pour la peur, quand même le chien seroit enragé, ce qui n’est pas encore décidé. En attendant je plein bien le pauvre Mallet d’avoir quarante jours à attendre pour être entierrement tranquille; dans ce moment on vien me dire qu’il est plus tranquille. Sa chambre est remplie de ses amis et amies. Dès que mon mari sera mieux j’irois le voir. Si vôtre Altesse Sérénissime a la bonté de m’écrire, un mot d’amitié pour lui, sera un beaume dans son sang. Je me ferois une fête de le lui aller lire. Ce qui en sera une bien plus grande pour moi, c’est d’aprendre que mon Cher Prince est mieux.

Nôtre ami me chargera de bien des remerciemens et respects pour Vôtre Altesse Sérénissime. Il est trés bien à présent. Il m’envoya prier d’aller Coucher chez lui, mais la maladie de mon mari m’en à empèchez j’usquà présent. Au moment qu’il me sera possible de m’absenter j’irois sûrement, et Dieu sait Combien nous parlerons de Monseigneur Le Landgrave; on a eû ici pendant 3 jours des craintes de la peste que l’on écrivoit de Turin être à Crémone. Tout de suitte on pris ici baucoup de Précautions, on mis des m^rs du Conseil des 200 aux Portes de la ville pour empêcher d’entrer ceux qui n’avoit point de Billiets de santé. La frayeur avoit si fort gagné tout le monde que l’on vuida dans un jour les Boutiques qui avoit des provisions de Bouche, on remply le maisons de vinaigre, enfin si la peste avoit été aux Portes de la ville on n’auroit rien fait de plus. Pour moi je ne fus pas émüe un instant, et je Crû que ce seroit quelque fièvre Epidémique. Mon mari pensa comme moi, aussi ne pris-je pas la plus petite précaution. J’eu raison, 3 jours aprés on reçeu la nouvelle que c’étoit des recrües arrivé à Crémone d’une marche forcée, qui fit mourir quelques soldats tout de suitte de lassitude et d’échauffement, ce qui avoit fait courrir ces bruits de Peste: nôtre ami en fut dit on épouvanté; mais ce qui a été réel c’est que nous avons eû deux secousse de tremblement de terre le 7^e de ce mois à minuit. J’eu un moment mal au coeur alors sans sentir les secousse, mais plusieurs personnes l’on senti. A Fernex nôtre ami fit lever tout le monde. Cependant c’étoit de légère secousse; il n’y a eû que quelques meuble un peu ébranlez; on n’y pense plus à présent, on a des Conserts, des Comédies de soçiété, et nos jeunes gens ont fait une souscription pour avoir des bals cet Hiver. Ils commence Lundi prochain; je préférerois bien avoir été présente aux Parties de Pharaon et de Cavagnol à Salabourg, à tous les autres plaisirs possible. J’espère que j’aurois le bonheur de voir faire ces parties à Monseigneur Le Landrave cette année ici comme il me l’assure. Dieu Le veuille, ne perdez pas cette idée Mon Cher Prince je vous en conjure, vous rajeuniré nôtre ami de 20 ans s’il a le plaisir de voir Vôtre Altesse Sérénissime, et moi jugez de ma joye, de celle de mon mari, et de mes filles. Ils prient tous les trois Vôtre Altesse Sérénissime de reçevoir leurs profond respect, et moi le tendre attachement et le plus profond respect avec lequel je suis.

Monseigneur

De Vôtre Altesse Sérénissime

La très humble et trés obessante servante

Gallatin née Vaudenet