Genêve ce 26e Juin 1776
Monseigneur,
La lêttre dont Vôtre Altesse Sérénissime m'a honorée du 1r de ce mois m'a fait le plus sensible plaisir, d'autant plus qu'elle étoit toute de son Ecriture, ce qui m'est plus précieux que je ne puis L'exprimer; je n'ay pas été en état dans remerçier plus tôt Vôtre Altesse Sérénissime ayant toujours été malade depuis le jour que j'allois voir nôtre ami le 6e du Courrant.
Je suis baucoup mieux à présent, de même que ma fille, le lait d'annesse étans son sauveur.
Je trouvay nôtre ami très bien et enchanté des Pensées diverses sur les Princes. Il ne pouvoit s'en taire, Il y trouvoit des Expressions des plus fines, et des plus vrayes. Mr Mallet, vôtre Résident, qui y vint avec moi ne pouvoit se lasser d'entendre Les Loüanges que nôtre ami donnoit à L'auteur, et Convenoit qu'elles étoient très juste. Moi je me glorifiois d'avoir décidé de même; est il possible mon Cher Prince que cet ouvrage soit depuis 1760 et que vous en ayez gardé le secret? Pourquoi m'en faire un mistère? Vous ne m'avez pas jugé digne de Cette Confiance; quel domage de ne vouloir pas Continuer. Qui estce qui peut moins craindre L'impréssion que Vôtre Altesse Sérénissime? Nôtre ami ne pourroit L'imaginer. Que mr de Luchet est heureux d'avoir obtenu ce manuscrit! que je lui en ay en mon particulier d'obligation! Mais Monseigneur il faut que je vous Conjure m'en envoyés encore quelques exemplaires, on m'a volé le mien et quand je l'ai redemandé il étoit parti pour Paris. Je vous suplie donc Monseigneur de m'en renvoyer, oû je ferois en sorte de voler celui de nôtre ami, mais j'espère que vous ne me refuserez pas.
L'ouverture du Théâtre de Fernex ce fait Vendredi 28e. Ma fille voudrait bien que mr Joly lui permis d'y aller. Pour moi j'ay dit à nôtre ami que je n'irois pas, je suis mieux mais pas assez bien pour découcher; si c'étoit pour le Théâtre de Cassel ce seroit différend, rien ne me retiendroit.
Nous avons aussi fait exercer toutes nos troupes, L'on en a été dit-on Content sur tout pour de La Bourgeoisie. Comme l'on les veut encore faire Exercer je crois en automne, j'ay dit que je prierois Un grand souverain de m'envoyer plusieurs marches nottées. On m'a baucoup prié de le faire. Dites moi je vous prie Monseigneur si j'oserois prendre la liberté de les lui demander? S'il me le permet je me trouverois trés heureuse. J'attend sa permission.
Nous avons une sécheresse inoüie, qui fait baucoup de mal aux Terres, et aux Personnes, il n'y a que les vignes qui en profitent. Les Vôtres Monseigneur réüssissent t'elles? J'y prend Un grand intérêt; j'en prend un bien vif à tout ce qui touche Vôtre Altesse Sérénissime, c'est la plus grande vérité, vous en êtes bien sûr de même que du tendre attachement et du profond respect avec lequel je suis,
Monseigneur
De Vôtre Altesse Sérénissime
La trés humble et trés obéissante servante
Gallatin née Véudenet
Mon mari et ma fille prient Votre Altesse Sérénissime de recevoir leurs très profonds respects.