1768-01-01, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean François Marmontel.

Que voulez vous que je vous dise, mon cher confrère?
Le pain vaut quatre sous la livre; il y a des gens de mérite qui n'en ont pas assez pour nourir leur famille, et on a élevé des palais pour loger et nourir des fainéants qui ont beaucoup moins de bon sens que Panurge; qui sont bien loin de valoir frère Jean des Entomures; qui sont bien loin de valoir frère Jean des Entomures; et qui n'ont d'autre soin après boire que de replonger les hommes dans la crasse ignorance qui dota autrefois ces polissons. Tout ce qui m'étonne, c'est qu'on ne se soit pas encor avisé de faire une faculté des petites maisons. Cette institution aurait été beaucoup plus raisonnable, car enfin les petites maisons n'ont jamais fait de mal à personne et la sacrée faculté en a fait beaucoup. Cependant, pour la consolation des honnêtes gens, il parait que la cour fait de ces cuistres fourés tout le cas qu'ils méritent, et que si on ne les détruit pas comme on a détruit les jésuites on les empêche du moins d'être dangereux. On n'en fait pas encor assez. Il faudrait leur déffendre sous peine d'être mis au carcan avec un bonnet d'âne de donner des décrets. Un décrêt est une espèce d'acte de jurisdiction. Ils peuvent tout auplus dire leur avis comme les autres citoiens, au risque d'être siflés. Mais ils n'ont pas plus droit que Fréron de donner un décret. Les théologiens ne donnet des décrets ni en Angleterre, ni en Prusse, aussi les Anglais et les Prussiens nous ont bien battus. Il faut de bons laboureurs et de bons soldats, de bons manufacturiers, et le moins de théologiens qu'il soit possible. Tous ces petits ergoteurs rendent une nation ridicule et méprisable. Les Romains nos vainqueurs et nos maitres n'ont point eu de sacrée faculté de théologie.

Adieu, mon cher ami, mes respects à madame de Geoffrin.

Avez vous reçu un paquet par mr Bouret? peut on vous en faire tenir d'autres petits?