[? March 1744]
Monsieur le doyen,
Je suis bien aise d'apprendre au public, que vous avez écrit contre moi un petit livre.
Vous m'avez fait beaucoup d'honneur. Vous rejetez page 17, la preuve de l'existence de dieu tirée des causes finales. Si vous aviez raisonné ainsi à Rome, le révérend père jacobin, maître du sacré palais, vous aurait mis à l'Inquisition; si vous aviez écrit contre un théologien de Paris, il aurait fait censurer votre proposition par la sacrée faculté; si contre un enthousiaste, il vous eût dit des injures, etc. etc. Mais je n'ai l'honneur d'être ni jacobin, ni théologien, ni enthousiaste. Je vous laisse dans votre opinion, et je demeure dans la mienne. Je serai toujours persuadé, qu'une horloge prouve un horloger et que l'univers prouve un dieu. Je souhaite, que vous vous entendiez vous même sur ce que vous dites de l'espace et de la durée, et de la nécessité de la matière, et des monades, et de l'harmonie préétablie, et je vous renvoie à ce que j'en ai dit en dernier lieu dans cette nouvelle édition, où je voudrais bien m'être entendu, ce qui n'est pas une petite affaire en métaphysique.
Vous citez à propos de l'espace, et de l'infini, la Médée de Seneque, les Philippiques de Ciceron, les Métamorphoses d'Ovide, des vers du duc de Buckinkam, de Gombaud, de Regnier, de Rapin, etc. J'ai à vous dire, monsieur, que je sais bien autant de vers que vous, que je les aime autant que vous, et que s'il s'agissait de vers nous verrions beau jeu; mais je les crois peu propres à éclaircir une question métaphysique, fussent ils de Lucrèce ou du cardinal de Polignac. Au reste, si jamais vous comprenez quelque chose aux monades, à l'harmonie préétablie, et pour citer des vers,
si vous découvrez aussi comment tout étant nécessaire l'homme est libre, vous me ferez plaisir de m'en avertir. Quand vous aurez aussi démontré en vers ou autrement, pourquoi tant d'hommes s'égorgent dans le meilleur des mondes possibles, je vous serai très obligé.
J'attends vos raisonnements, vos vers, vos invectives, et je vous proteste du meilleur de mon cœur, que ni vous ni moi ne savons rien de cette question. J'ai d'ailleurs l'honneur d'être, etc.