Je viens de recevoir, Monsieur, une lettre de Made Necker, dont j’ai l’honeur de vous envoier un extrait.
Je me sers de ses propres mots, vous aurez plus de plaisir à l’entendre elle même.
‘Dites à Monsieur de Voltaire que j’ai vu sa statue et malgré la clameur générale, il me semble qu’elle étone & qu’elle porte l’empreinte du génie. Je voudrais être l’artiste même qui a travaillé à ce monument, je lui envie la gloire de rendre cet homage à Monsieur de Voltaire, mais’le malheureux Pigal ne voit que la sienne, & il m’a impatientée en me fesant compter les muscles & les veines qui couvrent ce cœur sensible, & que j’aurais voulu arroser de mes larmes. Depuis que j’ai lu les lettres de Memmius à Ciceron & surtout la méprise d’Arras, je voudrais fère ériger mille statues à Monsieur de Voltaire au lieu d’une; Il y a dans ce petit morceau la fraicheur & la vivacité d’une âme de 20 ans qui s’indigne pour la première fois contre la cruauté et l’injustice. Je serai charmée que vous me rapelliés au souvenir de Monsieur de Voltaire & de Madame Denis’.
J’ai senti, Monsieur tout ce que Madame Necker exprime si bien; Le Memmius dont elle parle était digne d’instruire Ciceron & Lucrèce même; mais s’il relève nos espérances en nous prouvant invinciblement un Dieu que ce siècle affecte de méconaitre, pourquoi ne se livre-t’il pas davantage à l’espoir de l’immortalité qui doit le séduire beaucoup plus qu’un autre? Ses ouvrages survivront certainement au bronze de ses statues; ils feront pendant une longue durée de siècles les délices des âmes sensibles, le bonheur des peuples & des Roix; mais sa cendre n’en saura rien, et il n’aura jouï qu’un instant en idée, de la félicité de toutes ces générations heureuses cependant par lui. Au fond toutes les conclusions de la métaphysique sont suspectes d’erreur; choisissons donc l’erreur qui console. Ce n’est pas que pour fère le bien dans ce monde, j’aie besoin de penser aux récompenses d’un autre monde; j’aurais horreur de moi, si j’étais fait ainsi. Non, Monsieur, non, toutes les sanctions de la vertu sont sur la terre, & j’oze dire que je les sens dans mon cœur; mais l’existence n’est odieuse qu’au superstitieux & au méchant, elle est si douce à l’home de bien. Vous devez le savoir mieux que persone; chaque jour de vôtre vie vous fournit de nouvelles raisons de l’aimer. Daignés agréer mon très profond respect.
M.
Jeudy 24 Janvier 1772