1771-03-31, de Louise Suzanne Necker à Voltaire [François Marie Arouet].

J’ai reçeu vos vers Monsieur, ils sont charmants.
Seulement l’idée est un peu nouvelle pour moi qui n’ai jamais vu dans la nudité que l’image de l’innocence. Aussi n’étoit ce point par pudeur que je m’opposois au projet de Pigal; en regardant votre statue qui seroit assez stupide pour penser à des formes communes au reste des hommes? Nud ou habillé nous ne vous verrons jamais qu’à travers un cercle de lumière qui éblouira nos yeux. Laissons donc faire Pigal; mais nous voulions qu’il montrât Voltaire, tel que nous l’avons vû, et c’étoit le vœux de nos cœurs.

Depuis plusieurs mois vous ne m’avez pas laissé le tems de vous écrire. Vous avez continuellement soutenu notre attention et nos plaisirs. Nous vivons dans Voltaire et avec Voltaire. Actuellement nous sommes à la Campagne où nous faisons nos délices, de vos questions sur l’encyclopédie; nous les lisons en société. On saute quelques articles, mais en revanche on me lit plusieurs fois tous les autres; nous avons ici presque incognito l’ouvrage de Palissot. Il a trouvé l’art de médire et d’ennuier. Son Satyrique seroit tombé s’il eût été joué, les disputes et les partis ne sont pas actuellement l’affaire la plus importante; chacun pense à soy et il semble que l’on est trop personnel pour connoitre la haine.