1760-05-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Je n'aime point, mon divin ange, que mad.
Scaliger soit toujours mala de, cela nuit beaucoup à la douceur de ma vie.

Vous êtes un homme bien hardi de vouloir faire jouer la mort de Socrate, vous êtes un anti-Anitus; mais que dira mtre Anitus Joli de Fleury? Ce Socrate est un peu fortifié depuis longtemps par de nouvelles scènes, par des additions dans le dialogue. Toutes ces additions ne tendent qu'à rendre les persécuteurs plus ridicules et plus exécrables. Mais aussi elles ne contribueront pas à les désarmer. Les Fleury feront ce qu'ils firent à Mahomet; et ce pantalon de Rezzonico ne fera pas pour moi ce que fit ce bon polichinelle de Benoît 14. Voyez ce que vous pouvez hasarder. Je suis à vos ordres avec toute la témérité possible. Je vous avertis seulement que les déclamations de Socrate sur la fin doivent être bien courtes, et que celui qu'on va pendre ne doit pas pérorer longtemps. Tout sermon est ennuyeux.

Si vous avez la probité et le courage de faire jouer ce bon pasteur Hume, il n'y a qu'à donner à Fréron le nom de Guèpe au lieu de Frelon. Mr Guèpe fera le même effet. Quant au petit procès verbal des raisons pourquoi cette Lindane est à Londres, c'est l'affaire d'un moment. Les Français aiment donc ces procès verbaux. Les Anglais ne s'en soucient guère. Lindane est à Londres, on ne se soucie point de savoir comment elle y est arrivée d'Ecosse, et toutes ces vétilles ne font rien à l'intérêt et au succès. Mais si vous exigez ces préliminaires vous serez servi, et vite.

26e mai

On pourrait rendre le droit du seigneur très intéressant au 3e acte. Cette pièce fut jetée en sable, elle n'a jamais coûté quinze jours. On peut aisément donner quelques coups de ciseau. Vous serez encore servi sur cet article quand vous voudrez.

Très bonne idée, excellente idée de reculer Medime. Elle n'en vaudra que mieux. On aura le temps de la coiffer, elle ne paraîtra point immédiatement après l'infamie contre les philosophes, et j'aurai la gloire de n'avoir pas voulu que les comédiens profitassent de ma pièce après s'être déshonorés en se prêtant pour de l'argent au déshonneur de la nation.

Mon très cher ange voilà une vilaine époque. La pièce de Palissot, le discours de maître Joli, celui de maître Lefranc de Pompignan mettent le comble à l'ignominie de la France. Cela vient tout juste après Rosback, les billets de confession, et les convulsions.

Mr de Choiseul est il bien affligé de la maladie de mad. de Robecq? Je la tiens morte. C'est la maladie de sa mère. C'est bien dommage, mais pourquoi protéger Palissot? Hélas, mr de Choiseul protège aussi ce Fréron. Il a bien mal fait de s'adresser à lui pour répondre aux invectives horribles de Luc contre le roi. Il ne connaît pas Fréron, c'est un monstre, mais un monstre dont je ne fais que rire. Je ris de tout, je m'en trouve bien, mais c'est bien sérieusement que je vous aime avec la plus grande tendresse.

V.