1760-07-14, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Je vous écrivis hier au soir, mon cher ange.
Je reçois vôtre Lettre du 9e. Je suis dans mon lit entouré de cent paquets; on me presse pour czar Pierre 1er. Les philosophes me font enrager, ils ne sçavent ce qu'ils font. Ils sont désunis, j'aimerais mieux avoir à faire à des filles de chœur d'opera qu'à des philosophes; elles entendraient mieux raison.

J'ai à peine le temps de vous dire, mon divin ange, que vous me faites enrager sur L'Ecossaise. Où est donc la difficulté de diviser en deux pièces le fonds du théâtre? de pratiquer une porte dans une Cloison qui avance de 4 ou 5 pieds. L'avant-scène est alors suposée tantôt le caffé, tantôt la chambre de Lindane; c'est ainsi qu'on en use dans tous les théâtres de L'Europe qui sont bien entendus. Le fonds du théâtre représente plusieurs apartements: les acteurs sortent des uns et des autres, selon que le besoin l'exige; il n'y a à celà nulle difficulté.

Pourquoi avez vous la cruauté de vouloir que Lindane ennuie le public de la manière dont elle a fait Connaissance avec Murrai? Ce Murrai venait au Caffé; ce coquin de Frelon qui y vient aussi y a bien vû Lindane, pourquoi mylord Murrai ne l'aurait-il pas vüe? Ce sont ces petites misères, qu'on appelle en France bienséances, qui font languir la plus part de nos Comédies. Voilà pourquoi on ne les peut joüer ni en Italie, ni en Angleterre, où l'on veut beaucoup d'action, beaucoup d'intérêt, beaucoup d'allé et de venue, et point de préliminaires inutiles.

Mon cher ange; il est très plaisant de joüer l'Ecossaise, mais il faut absolument imprimer deux ou trois jours auparavant la requête de ce pauvre Carré, traducteur de Hume. Songez je vous prie au paquet envoyé sous l'enveloppe de mr de Chauvelin. Je me mets à l'ombre de vos ailes.

V.