1760-06-30, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louise Florence Pétronille La Live, marquise d'Épinay.

Ma charmante et respectable philosophe (car ce nom est toujours beau malgré la comédie et Joli de Fleuri) vous êtes bien bonne de songer aux scènes de Frelon.
Si on voulait faire quelque chose de cette pièce, je conseillerais au traducteur de Hume de retrancher absolument ce misérable qui d'ailleurs ne sert en rien au dénouement. Je crois deviner que Hume n'a introduit dans son drame anglais ce bélitre de Frelon que pour peindre un coquin à qui il en voulait. Ce Frelon est sans doute quelque ennemi de la philosofie anglaise. On veut jouer L'Ecossaise à Paris et ce n'est pas mon avis. Le public s'intéresse à l'humiliation des philosophes qu'il respecte malgré luy, mais il ne prendra aucun plaisir à voir un fripon qu'il méprise.

Au reste ma belle philosophe si Fabrice ce bon homme conseillait des méchancetés à Freron, vous voyez bien qu'on aurait alors deux coquins au lieu d'un et c'est trop. Je crois que Mademoiselle Vadé vous a envoyé le pauvre diable de son cousin sous l'enveloppe de Mr d'Epinay. Je tiens la vanité d'un frère de la doctrine crétienne. Ayez la charité d'accuser la réception de l'une et de l'autre. On m'a parlé du Russe à Paris, poème singulier composé en effet par un Russe qui connait très bien la France. Mais il faut savoir si le profète a reçu le paquet adressé au secrétaire de Mg le duc d'Orleans au palais Roial. Comment faut il faire d'ailleurs pour adresser ses paquets? esce à mr d'Epinay à l'hôtel des postes?

Dittes moy des nouvelles de tout je vous en conjure madame. Je salue votre belle âme, vos beaux yeux noirs, votre esprit, etc., etc.

V.