8 aoust [1760 à Fernex]
Vous ne me dites point qu'on a joué l'Ecossaise, qu'il a paru une requête aux parisiens de Jerome Carré, traducteur de l'écossaise, qu'on a imprimé une pièce de vers intitulée, le russe à Paris, vous ne me dites rien de Protagoras, de l'abbé mords lès, de l'évêque limousin qui va succéder dans l'académie à frère Jean des Entomures de Vaureal, et qui aura sa tappe, s'il pompignanise, en un mot vous ne me dites rien du tout; et je ne sçais plus à quelle adresse vous écrire.
Réveillez vous mon ancien ami, instruisez moy. Paris est il toujours bien fou? comment vont les remontrances? où en sont les guerres des grenouilles et des rats? que dit on de lui, que font le grand Freron et le sublime Palissot? Pour moy je mets tout au pied du crucifix; je bâtis une église. Ce ne sera pas st Pierre de Rome; mais le seigneur exauce partout les vœux des fidèles, il n'a pas besoin de colonnes de porfire et de candélabres d'or. Oui, je bâtis une église. Annoncez cette nouvelle consolante aux enfans d'Israel, que tous les saints s'en réjouissent. Les méchants diront sans doute que je bâtis cette église dans ma paroisse pour faire jetter à bas celle qui me cachait un beau paÿsage, et pour avoir une grande avenüe. Mais je laisse dire les impies, et je fais mon salut.
Je n'ay point vu la soeur du pot, mais on m'a envoyé un avis des parents assez plaisant pour faire interdire le sr de Pompignan au sujet de sa prose et de ses vers. Vous qui êtes au centre des belles choses n'oubliez pas le saint solitaire de Fernex, et joignez vos prières aux miennes.
Vraiment j'oubliais de vous demander s'il est vray que Palissot ait été assez humble pour imprimer mes lettres, et s'il n'a pas altéré la pureté du texte. Scribe, vale.