30 Juillet [1760] à Paris

C'est aujourd'hui la troisième représentation de l'Ecossaise dont le succès sans exagération est égal à celui de Mérope.
Courage, s'écria un avocat, c'est un Maître qui venge bien ses disciples. Freron y étoit et sa femme qui soutint fort bien son rôle, ayant été fort sérieuse dans les endroits qui regardoient son Mari, et applaudissant sans affection à tout le reste. Tout en a été bien senti, et a fait son effet. Cette pièce aura quinze représentations et sera reprise cet hyver, et par la suite plus souvent que le françois à Londres qu'elle fera éclipser.

Vos deux lettres du 18 et du 22 me sont parvenües avec le paquet Villemorien dont vous étiés en peine. Il étoit même contresigné par lui. Il est honneste. Je n'en ai point été surpris malgré l'arrêt signifié. J'ai vu M. Bouret, le grand administrateur des Postes, j'ai veu aussi tous les associés. J'ai découvert que ces Messieurs assemblés se sont communiqué une terreur panique sur des soupçons fort apparents qu'on avoit décachetté vos lettres et celles de vos amis. Les recherches scrupuleuses et inutiles d'une lettre que Marmontel dit vous avoir écrite en a été la cause. La persécution de M. le duc de Choiseul contre les Philosophes, les a tous intimidés, desorte qu'avec les mêmes sentim^ts et les dispositions à vous faire plaisir, et à vous marquer de l'amitié, il a été résolu qu'excepté les lettres de Vous ou de vos amis, on contresigneroit tous les imprimés de quelque volume qu'ils fussent, comme à l'ordinaire. On me l'a signifié, et on m'a chargé de vous en faire part, en me disant que c'étoit précaution et prudence bien fondée.

Ne soyés point en peine non plus du billet qui regardoit Protagoras. Il savoit déjà qu'il y avoit un fragment des Vers de Salomon du Nord dans le Journal Encyclopédique. Il croit que ce fragment peut avoir été retenu aussi bien sur le récit de ces Vers par hippophile Bourgelat, que sur le récit qu'il en a fait lui même à gens qui par la facilité de leur mémoire l'avoient convaincu que cela pouvoit s'être fait ainsi; qu'aureste il vous remercioit du fond de son coeur du service que vous lui offriés, mais qu'il espéroit, qu'il n'en seroit pas besoin.

J'ai fait remettre aussi au S. Corbie la Lettre fort sensée de Gabriel Crammer. Les offres qu'il fait sont si honnestes que je tiens cet accomodement très acceptable. Je sais que le s. Corbie se fait fort de faire la vente de Mil Exempl^res et que Gabriel Cramer peut compter sur ce nombre, et sur deux Cent encor que M. Gravelot demandera par la même stipulation.

Enfin le pauvre Diable, la Vanité, le Russe, le Mémoire de Ramponeau, la requeste de Jerome Carré, vos Lettres à Palissot et les siennes, tout a paru imprimé, les uns après les autres, depuis le retour de Robin Mouton à qui la prison a donné un courage et des ouvertures qu'il n'avoit pas.

Protagoras et les autres frères se flattoient tous que le digne Abé mords lès sortiroit hier, et nous croyons tous que vous y avés plus fait que Jean Jaques qui dans cette affaire a été bizare et singulier comme il l'est en tout.

Il y a bien des fautes dans tous les Imprimés dont je vous ai parlé. Il faudroit en faire faire un receuil en Hollande qui entreroit facilem^t et qui seroit bien vite contrefait icy. Vos lettres à Palissot me paroissent altérées et tronquées. Vous aviés bien raison en envoyant la première à M. Dargental de lui écrire que vous la paraphiés et pour cause ne varietur.

Catherine Vadé d'autre part est une bonne étourdie. Elle a encor oublié le Vers qui rime aux méchants auteurs dans la page 9^e du pauvre Diable. Il faudroit aussi une Notte à la page 14 sur le bâtard de la Chaussée qui est je pense Sablier, et sur le Drame qui est aussi, je crois, l' Amour Castillan. Tout cela est obscur et Enigmatique pour le Public qui n'y comprend rien.

Avés vous aussi de votre côté le Moses' Legation, et des brochures avec, adressées à M^rs Tronchin à Lyon, et un paquet de mes Lettres et d'autres par M. de Chennevières? J'édifierai beaucoup notre cher Abé Mords lès par touts les bons propos qu'il vous a fait tenir.

Ride et Vale.

Th^t