1759-04-18, de Voltaire [François Marie Arouet] à François de Bussy.

Vous avez toujours aimé les femmes, comme disait le cardinal de Noailles, or monsieur ma nièce Denis compte sur vous; et moy tout vieux suisse que je suis, j'y compte aussi.
Elle a eu l'honneur de vous importuner pour un brevet, et M. Le duc de Choiseuil a eü la bonté de le promettre. Je luy ay envoyé un extrait de nos pièces avec toutte la soumission, toutte la reconnaissance et toutte l'exactitude possible, et puis j'ay craint de ne L'avoir pas assez ennuyé, et vous aussi Monsieur.

Voicy donc pour perfection d'ennuy tout le contract d'acquisition sans qu'il s'en manque un mot. Les notaires sont comme les téologiens, ils disent force choses inutiles. Il n'y a dans ce contract qu'un mot à la page 3 qui regarde mon affaire, c'est celuy où il est dit que le châtau et les terres sont de l'ancien dénombrement. Connaissez vous monsieur cet ancien dénombrement, parmy tous les traittez qui sont dans votre teste? C'est assurément le plus petit dénombrement qui soit au monde, mais enfin ce pauvre petit droit est fondé sur des pancartes sacrées de nos rois. Nous avons ou raison ou prétexte d'en demander très humblement la confirmation. Nous joignons à notre contract la copie du brevet accordé à M. de Brosse en pareil cas. Nous avons eu l'honneur d'envoier à Mgr le duc de Choiseuil nos motifs, nous attendons vos bontez et les siennes, c'est une bagatelle je le sçais bien, mais ce rien est baucoup pour des marmottes du mont Jura. J'ay bien une autre grâce à vous demander. Je vous supplie de renvoyer, cet énorme paquet contenant contrat et brevet, à mr Despagnac, conseiller clerc de grand chambre, demeurant dans la grande ville de Paris rue de Verneuil, le quel abbé Despagnac est chef du petit conseil de finances de Mgr le comte de la Marche, mon seigneur suzerain à qui je dois, argent, foy et hommage, et pour qui je dois combattre à la tête de douze hommes armez pour l'honneur des dames et de la chevalerie ainsi que le portent les inféodations. Ce gr chambrier veut avoir mon contract. Pardon monsieur de vous entretenir de mes misères, quand vous êtes occupé de celles de l'Europe, mais vous suffisez à tout. Secourez nous. Je suis pour ma vie, et en franc suisse

votre très humble, très attaché et obligé serviteur

Voltaire
gentilho͞e orde du roy

Ah si vous saviez à quel point le roy de Prusse est un drôle de corps!