1771-01-02, de Voltaire [François Marie Arouet] à Bénigne Legouz de Gerland.

Monsieur,

Avant de répondre à l'article de votre lettre concernant mr de Brosses soufrez que je vous remercie encor de la générosité avec laquelle vous interposâtes votre médiation entre lui et ma famille.
Je dis ma famille et non moy même car il ne s'agissait que de ce qui pouvait apartenir à mr de Brosse après ma mort.

Je m'en étais remis absolument à lui pour le contract d'aquisition à vie de la petite seigneurie de Tournay. Il l'estima dans le contract 2500lt de rente. Il m'en fit payer quarante sept mille livres. Je ne l'ai affermée jusqu'à présent que 1600lt. Je ne me plaignis point mais ma famille me fit apercevoir qu'il avait stipulé dans le contract entre autres articles onéreux que tout meuble tout ce qui trouveroit dans le châtau sans aucune exception lui apartiendrait à ma mort. Cette clause était insoutenable. Je luy proposay en 1767 de prendre monsieur le premier président, ou qui il voudrait de ses confrères pour arbitre. Il le refusa. Enfin Monsieur vous voulûtes bien lui en parler, et quoy que son allié vous le condamnâtes.

Il m'écrivit en ce temps là une lettre pour m'intimider dans la quelle il me dit, Quoyque je ne blâme point la liberté de penser cependant etc. Il me fesait entendre qu'on pourait m'imputer des ouvrages, et que — Je ne vous en dis pas d'avantage Monsieur. Il semblait me menacer d'écouler la calomnie, et d'éteindre un procez pour mes meubles et pour ceux de mon fermier dans un procez pour des livres.

Un homme d'un rare mérite qui était chez moy vit cette lettre et en fut très affligé. Il en a parlé en dernier lieu lors qu'il s'est agi de l'académie française. Quelques personnes zélées pour la liberté académique et pour l'honneur de notre corps m'en ont écrit etc.

J'ay fait pendant dix ans tout ce que j'ay pu pour obtenir les bonne grâces de M. de Brosses. Je me flatte d'avoir mérité les vôtres par la confiance que j'ay toujours eue dans vos bontés. Dites moy ce que vous voulez que je fasse Je suis à vos ordres.

J'ay l'honneur d'être avec le plus respectueux attachement.