1771-03-14, de Catherine II, czarina of Russia à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur, En lisant Votre Encyclopedie, je répétais ce que j’ai dis mille fois, qu’avant Vous persone n’écrivis come Vous, et qu’il est très douteux si après Vous jamais quelqu’un Vous égalera.
S’est dans ses réflexions que me trouvérent Vos deux dernières lettres du 22 Janvier et 8 févreïer.

Vous jugés bien Monsieur du plaisir qu’elle m’ont faite. Vos vers et Votre prose ne seront jamais surpassée, je les regarde come le non plus ultra, et je m’y tient. Quand on Vous a lu l’on voudrait Vous relire, et l’on est dégoûté des autres lectures.

Puisque la fête que j’ai donée au Prince Henry a euë Votre approbation, je m’en vais la croire belle; avant celle là je lui en avait donné une à la Campagne où les bouts de chandelles et les fusées avait euë leur place, mais il n’i eut persone de blessées, les précautions avait été bien prises, les horreurs arrivés à Paris nous ont rendu sage. Outre cela je ne me souvient pas d’avoir vuë depuis longtemps, un carnaval plus animé; depuis le mois d’octobre jusqu’au mois de févreïer, il n’i a eu que fête, danse, spectacles. Je ne sais si s’est la Campagne passée qui me l’a fait paraitre tel, ou bien si véritablement la joye régnait chés nous. J’aprens qu’il n’en est pas de même partout, quoiqu’on jouisse de la douçeur d’une paix non interrompuë depuis huit ans. J’espère que ce n’est pas par la part Chrestiene qu’on prend aux malheurs des infidèles. Ce sentiment serait indigne de la postérité des premiers croisés. Il n’i a pas longtems que Vous aviés en France un nouveau St: Bernard qui prêchait une croisade en esprit contre nous autres, sans je croit qu’il sût bien au juste lui même pour quel objet, mais ce St: Bernard s’est trompé dans ses prophéties tout come le premier, rien de ce qu’il avoit prédit ne s’est vérifié, il n’a fait qu’aigrir les esprits, Si s’était là son but, il faut avouër qu’il a reussi, ce but cependant parait bien mesquin. Monsieur Vous êtes si bon Catholique, persuadés à ceux de votre croyance que l’Eglise Grecque sous Catherine seconde n’en veut point à l’Eglise Latine, ni à aucune qui soit sous la couverture des nuées remplies d’Eau: Que l’Eglise Grecque ne sait que ce défendre. Avoués Monsieur que cette guerre a fait briller nos guerriers. Le Comte Alexis Orlof ne cesse de faire des actions qui font parler de lui. Il vient d’envoyer quatre vingt six prisoniers Algeriens et saletins au Grand maitre de Malthe, en le priant de les échanger à Alger, contre des esclaves Chrestiens. Il y a bien longtems qu’aucun Chevalier de St: Jean de Jerusalem n’a délivré autant de Chrestiens des mains des infidèles. Avés Vous lu Monsieur la lettre de ce Comte aux Consuls Europeens de Smyrne qui interçédoit près de lui pour qu’il épargnât cette Ville après la défaite de la flotte Turque? Vous me parlés du renvoi qu’il a fait d’un Vaisseau Turk où étoit les meubles, et les Domestiques d’un Bachas. Voiçi le fait: peu de jours après la battaille navale de Tchesme, un trésorier de la Porte revenait sur un Vaisseau du Caire avec ses femes, ses enfans, et tout son bien et s’en allait à Constantinople, Il aprit en chemin la fausse nouvelle, come si la flotte Turque avait battu la nôtre, il ce hâta de descendre à terre pour être le premier porteur de cette nouvelle au sultan, en attendant qu’il couroit à toute bride à Stamboul. Un de nos Navires amena son Vaisseau au Cte: Orlof: celui çi défendit sévèrement que persone n’entra dans la chambre des femes et que la charge du Vaisseau ne fût touché. Il ce fit amener la plus jeunes des filles du Turk âgée de six ans, il lui fit présent d’une bague de Diamants, et de quelque fourures, et la renvoya avec toute sa famille et leurs biens à Constantinople. Voilà ce qui a été imprimé à peu près dans les gazettes, mais ce qui ne l’a pas été jusqu’ici, s’est, que le Cte: Roumenzof ayant envoyé au Camp du Visir un officier, cet offiçier fut mené d’abord au kiaya du Visir, le kiaya lui dit après les premiers complimens, y a t’il quelqu’un des Ctes Orlof à l’armée du Maréchal Roumenzof? L’offiçier lui répondit que non. Le Turc lui demanda avec empressement, Où sont ils dont? Le Major dit que deux servait sur la flotte, et que les trois autres était à Petersbourg. Hébien, dit le Turc, sachés que leurs noms m’est en vénération et que nous somes tous étonés de ce que nous voyons. S’est vis à vis de moi surtout que leurs générosités s’est signalé. Je suis ce Turc qui leurs doit ses femes, ses enfans, ses biens, je ne puis jamais m’acquiter envers eux, mais si pendant ma Vie je puis leurs rendre service je le compteré pour un bonheur. Il ajouta beaucoup d’autres protestations et dit entre autre que le Visir conoissoit sa reconnoissance et l’approuvoit. Il avoit en disant cela la larme à l’œil. Voilà dont des Turcs touchés jusqu’aux larmes par la générosité des Russes de la Religion Grecque. Le Tableau de cette action du Cte: Orlof pourra un jour faire le pendant dans ma galerie de celui de Scipion.

Les sujet de Mon voisin le Roy de la Chine depuis que celui ci a conivés à lever quelques entraves injustes, comerçent avec les miens que s’est un charme. Ils ont échangés pour trois millions de Roubles d’effet les premiers quatre mois que ce comerce a recomençé. Les fabriques du Palais de mon voisin sont occupée à faire des Tapisseries pour moi, tandis que mon voisin demande du bled et des moutons.

Vous me parlés Monsieur souvent de Votre âge, mais quel qu’il soit, Vos ouvrages sont toujours les mêmes, témoin cette Encyclopedie remplie de choses nouvelles, il ne faut que la lire pour voir que Votre génie est dans toute sa force. Vis à vis de Vous les accidens attribué à l’âge devienent préjugés. Je suis très curieuse de voir les ouvrages de Vos horlogers. Si Vous alliés établir une Colonie à Astracan, je chercherais un prétexte pour vous y aller voir. Apropos d’Astracan, je Vous dirés que le climat de Taganrok est sans comparaison plus beaux et plus sain que celui d’Astracan. Tous ceux qui en revienent disent qu’on ne sauroit assés louer cet endroit, sur lequel à l’imitation de la vieille dont il est parlé dans Candide, je m’en vais Vous conter une anecdote. Après la première prise d’Azof par Pierre le grand, il voulu avoir un port sur cette mer, et il choisit Taganroc. Ce port fut construit, ensuite de quoi il balança longtems s’il bâtiroit Petersbourg sur la Baltique ou à Taganroc, mais enfin les circonstances du temps l’entrenèrent vers la Baltique. Nous n’i avons pas gagné du côté du Climat, il n’i a presque point d’hiver là bas, tandis que le nôtre est très long.

Les Welches Monsieur qui vantent le génie de Moustapha, vantent ils aussi ses prouesse? Pendant cette guerre, je n’en connoit d’autres sinon qu’il a fait couper la tête à quelques Visirs, et qu’il n’a pu contenir la populaçe de Constantinople, qui a roué de coups sous les yeux les Ambassadeurs des prinçipales puissances de l’Europe, lorsque le mien étoit au sept tours (l’internonce de Vienne est mort de ses meurtrissures). Si ce sont là des traits de génie je prie le Ciel de m’en priver, et de le réserver tout entier pour Moustapha et le Chevalier Tot son soutient. Ce dernier sera étranglé un jour, le Visir Mahomet l’a bien été quoiqu’il eu sauvé la Vie au Sultan et qu’il étoit beau fils de ce Prince.

La Paix n’est pas aussi proche que les papiers publique l’ont débités, la troisième Campagne est inévitable, et Mr Aly Bey aura encore gagné du temps pour s’affermir; au bout du compte s’il ne réussissoit pas, il ira passer le Carnaval à Venise avec Vos exilés qui sont allés passer l’hiver à la Campagne.

Je Vous prie Monsieur de m’envoyer la lettre que Vous avés écrit en Vers au jeune Roy de Danemark dont Vous me parlés, je ne voudrois pas perdre une ligne de ce que Vous écrivés, jugés par là du plaisir que j’ai à lire Vos écrits, du cas que j’en fait, de l’amitié et de l’estime que j’ai pour le s. Hermite de Ferney qui me nome sa favorite. Vous voyés que j’en prends les airs.