1763-03-23, de Nicolas Claude Thieriot à Voltaire [François Marie Arouet].

Votre distique français a fait fortune et Ovide Bernard a avoüé qu'il y avoit perdu son temps.

Vous êtes assailli de Corneilles. Comment donc ce petit Cornillon cy ne s'estoit il pas adressé à M. de Fontenelle? Etant aussi proche qu'on le dit du grand Pierre, il en auroit été immanquablemt secouru. Madame Dupuis et lui ne font pas L'heureuse rencontre.

Pindare le Brun le disputeroit en fatuité à Simon le franc, et ne s'en corrigera pas plus que lui malgré la bonne leçon qu'il vient de recevoir dans un grand dîner. Il avança modestement qu'il ne connoissoit dans ce siècle que deux grands Poètes, que M. de Voltaire en étoit un, et qu'il ne nommeroit pas l'autre. Il tint parole, et vous imaginés bien qu'il fut vexé et persiflé en raisons de son silence.

Simon le Franc a diverti les Ducs et Pairs et la Canaille comme son devancier Pourceaugnac.

Votre belle lettre à Protagoras a été connüe de Zoile Lycophron dans sa primeure. Frère Damilaville en avoit fait glisser adroitement une copie entre les mains de Monsieur le prince de Conti, et d'ailleurs elle a eu dans peu de jours la publicité de l'imprimerie.

M. le Duc de Choiseul vient de faire faire un règlement qui aura bien votre aprobation. On ôte les Missions à tous les Moines. On n'y employera que le clergé séculier. Ce district sera sous la dépendance du grand Aumônier et sera sujet à infiniment moins d'abus.

Je vous envoye un petit Poëme en six chants qui ne vous fera pas crier merveille, mais qui vous fera rire; c'est Caquet bon bec: la poule à ma tante. L'auteur m. Jonquieres n'est pas sans talent. Je lui souhaiterois de tems en tems un peu plus de finesse et d'imagination.

Un M. Cazote qui n'en manque pas vient de publier un autre Poème en prose, c'est Olivier emprunté de l'Arioste dont on dit qu'il transmet les beautés et les grâces. S'il est vrai que cela soit comme on le dit, on vous le dépêchera bien vite.

On vient de procéder à l'élection de m. l'abé Radonvilier jadis professeur de réthorique au collège des Jésuites après le P. Porée, maintenant sous précepteur des Princes; M. le Dauphin a fait écrire à M. Duclos comme secrétre, par M. l'Evêqe de Limoges l'intérest qu'il y prenoit. Les Philosophes ayant des soupçons fondés qu'on vouloit leur nuire se sont tenus alertes, et bien leur en a pris. Il s'est trouvé quatre boules noires contre le prétendant. Sur la surprise et le murmure qui s'est élevé, Dalambert a dit simplemt, Voilà ma boule noire, et a été suivi par Mrs Duclos, Saurin et Wattelet qui ont montré la leur. Risum teneatis amici. Cette conduite si bien avisée des Philosophes et le succès de l'affaire des Calas doivent vous tenir pour longtems en belle humeur.

Il est bien juste que vous soyés informé de la clôture du Théâtre. On a représenté dans les deux dernières semaines Brutus, l'Orphelin de la Chine et Tancrède. Mle Dubois qui s'applique et s'exerce beaucoup depuis quelque tems a été encouragée aussi par le Public qu'elle a étonnée. Mle Clairon a obtenu un congé pour aller trouver M. Tronchin. Votre entrevüe ne peut manquer de vous faire un extrême plaisir à tous deux.

On annonce une Comédie en cinq actes et bien versifiée pour la rentrée au Théâtre. Elle a pour titre le Préjugé vaincu. Elle a été présentée par Prévile, et ce qui doit vous surprendre, les gens bien instruits et qui vivent dans le Tripot prétendent qu'elle est de Gresset.

J'ai eu mal aux yeux ainsi que vous. J'en ai été guéri par une recepte de feu Gendron qui est fortifiante et qui me semble sans inconvénient. C'est une pinte d'eau de fontaine avec une cuillère de bonne eau de Vie mêlées. Je m'en baignois soir et matin.

Je suis bien fâché des dérangements de santé de Madame Denis tant pour elle que pour vous. Je me souviens souvant combien il est doux et agréable de vivre avec elle.

Vale dulcissime rerum.

Tht