aux Délices 27 juin 1762
Je vous dois bien des remerciments monsieur pour les pièces d'un procez que je voudrais voir fini.
Quand vous pourez m'envoyer le petit mémoire que vous m'avez promis je vous garderai secret et fidélité. Vous aurez en revanche des pièces bien singulières et bien intéressantes d'un autre procez.
J'ay commencé par faire travailler votre endet stisur les belles dents de melle Corneille. Pour quoy parlez vous aujourdui des opuscules du philosophe de Sans Souci dont on ne parle plus? Vous voylà bien scandalizé de ce qu'il écrit au maréchal Keit, comme Lucrece parlait à Memmius, et comme Cicéron et Cesar s'expliquaient en plein sénat. Si vous voulez être scandalizé soyez le de ce que ce prétendu philosophe a immolé plus de quatre cent mille hommes à sa petite ambition d'acquérir une petite province.
Il y a un décret de prise de corps contre Jean Jaques à Geneve comme à Paris. Il est puni pour les seules choses bien écrites qui soient dans ses mauvais livres. Ce polisson s'est avisé d'écrire sur l'éducation, mais auparavant il eût fallu qu'il eût eu de l'éducation luy même.
Une chose plus importante que j'ay à vous dire, c'est qu'il y a de bonnes raisons d'espérer la paix en Allemagne, mais belle Phillis on désespère alors qu'on espère toujours.
De quoy s'avise le p. de Brosses de montrer mes lettres? Ouy je crie contre les fêtes, je fais travailler les fêtes. Il est abominable d'avoir soixante jours consacrez à l'ivrognerie. C'est une affaire de police dont tous les parlements devraient se saisir. L'agriculture est plus agréable à dieu que la taverne. Les sauvages en cela sont mieux policez que nous. Mille respects à me la présidente, et vale dulcissime rerum.
V.