1745-03-08, de Voltaire [François Marie Arouet] à Graf Otto Christoph von Podewils.

Mon très aimable comte L'embaras de nos fêtes m'a empêché longtemps de vous écrire.
J'ay eu douze cent vers à faire et cent ouvriers à conduire. Ce sont de ces ouvrages où L'on immole sa réputation au brillant d'un spectacle passager. Je regarde ces fêtes comme des feux d'artifice dont il ne reste rien quand ils sont tirez. Tout cela m'a un peu dérouté de l'étude du grec à la quelle d'ailleurs ma santé ne me permet pas de me remettre. Je peux seulement vous assurer que […] Votre […], Vous me croirez plus attaché. C'est une chose publique que Le roy se mettra au commencement d'avril à la tête de cent mille hommes, que M. le prince de Conty commandera sur le Rhin et que nous aurons quatre armées. Si tout cela joint au succez de vos armes pouvoit procurer la paix à L'Europe, c'est alors qu'il faudroit donner des fêtes. En vérité c'est l'unique objet de notre Roy, et ceux qui L'aprochent ne cessent de dire que si nos ennemis le connaissoient ils luy remettroient les intérêts comuns de tout le monde entre les mains. Faites moy L'amitié je vous en conjure de m'envoyer par la voye de mr de la Reiniere tous les rogatons qui pouront vous tomber sous la main, c'est le plus grand plaisir que vous puissiez me faire dans les circomstances présentes. Je suis au reste très indigné depuis longtemps contre ces coquins de libraires qui ont ramassé à tort et à travers tout ce qu'ils ont pu pour en composer une impertinente édition sous mon nom. Vous savez que c'est vous qui m'en avez donné le premier avis, et vous me feriez plaisir d'en instruire le roy si l'ocasion s'en présente naturellement. Mais j'insiste sur les rogatons mon respectable amy. Je vous fais mes compliments sur vos succez en Silésie et dans le comté de Glats. Mais ce seroit peu de chose si vous n'étiez pas heureux où vous êtes. Les victoires de nos souverains sont bien agréables quand on a chez soy une femme charmante, une fortune digne d'elle, avec l'art de jouir de sa fortune, art très peu conu dans les pays où vous vivez. Adieu, comptez sur mon éternel attachement.

V.