7e 7bre 1776
Je ne suis, monsieur, qu'un vieux housard, mais j'ai combattu tout seul contre une armée entière de pandours.
Je me flatte qu'à la fin il se trouvera de braves Français qui se joindront à moi, s'il y a des Welches qui m'abandonnent. Mr de La Harpe répondra mieux que moi à mr Le Tourneur, en donnant son Menzicof et ses Barmécides.
Je suis très content de son journal, il écrit aussi bien en prose qu'en vers, et assurément les gens de bon goût ne regretteront pas son prédécesseur.
Je suis persuadé que vous avez été indigné contre l'insolent mauvaise foi d'un secrétaire de notre libraire qui a la bassesse d'immoler la France à l'Angleterre, pour obtenir quelques souscriptions des Anglais qui viennent à Paris. Il est impossible qu'un homme qui n'est pas absolument fou, ait pu de sang froid préférer un Gilles tel que Shakespeare à Corneille et à Racine. Cette infamie ne peut avoir été commise que par une sordide avarice qui courait après des guinées.
Je sais que Garrik a pu faire illusion par son jeu qui est, dit on, très pittoresque; il aura pu représenter très naturellement des passions que Shakespeare a défigurées en les outrant d'une manière ridicule, et quelques Anglais se seront imaginé que Shakespear vaut mieux que Corneille, parce que Garrik est supérieur à Molé.
Voilà peut-être l'origine de la bizarre erreur des Anglais. Je les abandonne à leur sens réprouvé et je ne me rétracterai pas pour leur plaire.
Je me rétracterai encore moins, monsieur, sur un grand homme qui sans doute est toujours aimé de vous et à qui je vous supplie, quand vous le verrez, de présenter ma respectueuse et inaltérable admiration.
V.