3 de septembre [1776]
Mon général, mes troupes ne peuvent actuellement recevoir leurs ordres immédiatement de vous.
J'ai changé un peu mon ordre de bataille, et on imprime actuellement la campagne que j'ai faite sans vous. Je suis toujours émerveillé qu'une nation, qui a produit des génies pleins de goût, et même de délicatesse, aussi bien que des philosophes dignes de vous, veuille encore tirer vanité de cet abominable Shakespeare qui n'est, en vérité, qu'un Gilles de village, et qui n'a pas écrit deux lignes honnêtes. Il y a, dans cet acharnement de mauvais goût, une fureur nationale dont il est difficile de rendre raison.
Je vois que m. de la Harpe fait la guerre, de son côté, avec beaucoup de succès, contre messieurs les faiseurs de drames en prose. Il rend en cela un très grand service à la saine littérature, et je l'exhorte à ne jamais mettre les armes bas. Mais quel sera le brave chevalier qui nous délivrera des monstres chimériques dont on accable la physique? Je vois des folies pires que celles de la matière subtile, et de la matière rameuse, pires que les imaginations de Cyrano de Bergerac, et de m. Oufle, se débiter avec le plus grand succès, et marcher le front levé. Je vois les auteurs de ces extravagances aller à la fortune et à la gloire, comme s'ils avaient raison. Chaque genre a donc son Shakespeare; et on n'aura pas même la liberté de siffler ce qui est sifflable. Prions dieu pour la résurrection du sens commun. Raton se met, tant qu'il peut, sous la patte de son cher et digne Bertrand. Raton n'en peut plus; il est bien malade, il fera place bientôt à un nouveau quarantième.