11e 7bre 1776, à Ferney
Je supose, Monseigneur, que, dans ce tems de vacances vôtre procez ne prend pas tous vos moments, et que vous aurez peut être assez de loisir pour jetter les yeux sur cette brochure, qui fut lue à l'académie le jour de la st Louis.
Je suis persuadé que nôtre fondateur, qui n'aimait pas les Anglais, aurait protègé ce petit ouvrage; et j'ose croire que nôtre Doyen qui les a fait passer sous les fourches caudines ne prendra pas le parti de Shakespear contre Corneille et Racine.
J'ignore si vous honorâtes l'académie de vôtre présence le jour qu'on y lut ce petit ouvrage. On peut pardonner à des Anglais de vanter leurs Gilles et leurs Polichinelles; mais est-il permis à des gens de Lettres français d'oser préférer des parades si basses, si dégoûtantes, et si absurdes, aux chef-d’ œuvres de Cinna et D'Athalie? Il me parait que tous les honnêtes gens de Paris (car il y en a encor) sont indignés de cette méprisable insolence. Le sr Le Tourneur a osé mettre le nom du Roi et de la Reine à la tête de son édition, qui doit déshonorer la France dans toute L'Europe. C'est assurément au petit neveu de nôtre fondateur à protêger la nation dans cette guerre, mais il faut que vous commenciez par vous faire rendre justice avant de nous la rendre. Vôtre procez est aussi extraordinaire que l'insolence du sr Le Tourneur, et doit vous occuper bien d'avantage. Je dois même vous demander pardon de vous parler d'autre chose que de ce qui vous intéresse de si près.
Madame De st Julien m'a quitté pour aller aux eaux de Plombieres, et j'ai bien peur qu'elle ne tombe sérieusement malade en chemin. Pour moi je suis à peine en vie; mais je ne le serai pas encor longtems. Je mourrai aumoins comme j'ai vécu, en vous étant bien tendrement attaché.
V.