1773-10-08, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis François Armand Du Plessis, duc de Richelieu.

On me charge de faire un abrégé des principales choses qui distinguent mon héros.
Celà doit s'imprimer avec vôtre estampe dans un grand infolio intitulé, La Galerie française. Monseigneur Le Maréchal peut juger si cette commission m'enchante. Je crois vous savoir assez par cœur, mais je pourais dans mon désert me tromper sur les dates.

Permettez donc que j'aie recours à vous. Vous pouvez faire mettre par un secrétaire sur une feuille de papier les jours où vous fûtes fait colonel, Brigadier, Maréchal de Camp, Lieutenant général, Maréchal de France, les dates des fourches caudines du Duc De Cumberland, de Genes sauvée etca.

Je me charge de L'enluminure du tableau, et je vous suplie de vouloir bien me faire tenir le paquet contresigné.

J'ai reçu vôtre ultimatum de Trianon du 27 7bre. Je vois bien qu'il y a quelque chose dans le code de Minos qui ne plait pas à des Français ou à des Françaises. La vieillesse est faitte pour recevoir des dégoûts, mais elle doit être assez sage pour les suporter avec une entière résignation. Les Anglais sont fous d'une Tragédie des Scythes que mes bons amis avaient tâché de faire échouer à Paris. On la joue continuellement à Londres, et on en a fait trois éditions coup sur coup. Nul n'est prophète en son païs. J'ai d'ailleurs un ennemi assez violent auprès de la personne dont vous avez eu la bonté de m'envoier une Lettre. Il est fortement protègé par Madlle sa belle sœur avec laquelle il est venu à Paris. C'est originairement un petit huguenot d'un petit village auprès de Castres, qui a été ministre du st Evangile à Genêve et en Dannemark. Je vous le livre pour le plus déterminé scélérat qui soit dans l'Eglise de Calvin. Il a obtenu par le crédit de cette demoiselle la place qu'avait l'abbé Alary à la bibliothèque du Roi. Celà est juste, et est à sa place. J'espère que l'abbé Sabatier aura le premier Evêché vacant. Pour moi qui ai renoncé aux dignités écclésiastiques je ne prétends qu'à la continuation de vos bontés. Ce sera ma consolation au bord de mon lac et au pied de mes montagnes, en attendant que je puisse venir vous faire ma cour dans vôtre roiaume du prince noir.

Aureste, le billet de cette belle Dame était plein de grâces comme elle, et en me l'envoiant vous même vous me l'avez rendu encor plus précieux. La moitié de vôtre cour était à Lausanne en Suisse, mais j'imagine que vous aurez plus de monde à Fontainebleau.

Que mon héros daigne agréer toujours mes très respectueux et très tendres sentiments.

Le vieux Malade V.