1761-02-21, de Étienne Jean de Guimard des Rocheretz, baron de Montpéroux à Étienne François de Choiseul-Stainville, duc de Choiseul.

Monseigneur,

On m'aporta le 18 au soir un exemplaire que je joins icy d'une lettre servant de réponse aux quatre que M. le Marquis de Ximenes avoit faites contre la nouvelle Heloïse de Jean Jacques Rousseau qui ne parurent que le 15, Et dont il m'a dit, Monseigneur, qu'il vous avoit envoyé des exemplaires.

Je trouvai que cette lettre attaquoit avec l'insolence la plus punissable ce qu'il y a de plus respectable dans l'état et manquait aux égards dus à M. de Ximenes. J'allay sur le champ en porter mes plaintes au premier sindic qui assembla le lendemain jour de vacance les quatre sindics qui firent enlever provisoirement tous les exemplaires qui se trouvèrent chez une Loueuse de livres.

Hier matin la lettre anonime fut luë en conseil qui en fut frapé d'indignation. On y résolut que la lettre seroit brûlée aujourd'huy. La Loueuse avoit soutenu avec serment que l'on avoit saisi le moment qu'elle n'étoit pas dans sa Boutique pour y jetter un paquet de ces lettres; on ajouta à la Résolution qu'il seroit fait les plus rigoureuses recherches pour découvrir l'imprimeur et l'auteur qui seront punis. Le procureur Général qui est intervenu d'office dans cette affaire a également dénoncé la lettre anonime, et donné ses conclusions qui doivent avoir formé la délibération du conseil.

Tous les Magistrats, Monseigneur, sont également indignés de l'insolence de l'auteur de la lettre qu'ils souha[i]tent que l'on pû découvrir pour le punir. Les lettres de M. le Mis de Ximenes seront suprimées quoyqu'il les ait signées, le conseil étant fermement Résolu d'empêcher qu'il se répande icy aucun écrit imprimé sans nom d'imprimeur et par conséquent sans permission. Je me suis apperceu, Monseigneur, que je ne pouvois rien obtenir en faveur de M. de Ximenes, le conseil ayant vu avec quelque peine qu'il y avoit des plaisanteries sur la noblesse du pays de Vaud et sur les Suisses: ainsi je n'ay fait que des insinuations très légères tous les Membres du conseil étant d'ailleurs très disposés chacun en particulier à donner dans l'occasion des marques de considération pour la personne et le nom de M. de Ximenes pendant le séjour qu'il fera chez M. de Voltaire.

Je veilleray à ce que cette chaleur ne se dissipe pas et que les perquisitions se fassent avec exactitude.

Je suis avec Respect

Monseigneur

Votre très humble et très obéissant serviteur

Montperoux