aux Délices, le 21 janvr [1761]
Voici pour votre excellence la négociation la plus importante que vous ayez jamais fait réussir.
Le porteur, avec son baragouin, est à la tête d'une troupe d'histrions; il a le privilège du gouverneur de Bourgogne; il veut nous donner du plaisir; c'est donc un homme nécessaire à la société. Une autre troupe d'histrions, nommés prédicants calvinistes, a eu l'insolence de trouver mauvais que les Genevois jouassent Alzire en France au château de Torney. Cette ville d'usuriers corromprait sans doute en France la pureté des mœurs. De plus les faquins à monologue sont si jaloux des gens à dialogue qu'ils veulent avoir le privilège exclusif d'ennuyer le monde. Le porteur a une troupe catholique. Il peut donner du plaisir sur terre de France. Mais les terres de Savoie sont plus à portée; s'il peut s'établir à Carrouge, petit village aux portes de Genève, il croit nos plaisirs assurés, et sa fortune faite. Il demande donc votre protection. O belle ambassadrice, actrice charmante, portez nos prières à m. de Chauvelin, favorisez un art dans lequel vous daignez exceller; confondez des hérétiques qui prêchent contre la divinité de Jésus christ, et contre Athalie et Polieucte. La descendante du grand Corneille qui est aux Délices, vous conjure par les mânes de Cinna et de Chimène de procurer une église dans Carrouge au sacristain que nous vous dépêchons.
M. l'ambassadeur, regardez cette affaire comme la plus importante de votre vie, ou du moins de la nôtre. Les Délices seront elles assez heureuses pour vous reposséder au mois de mai?
Respect et attachement éternel. Comment se portent le fils et la mère?
V.