[October 1735]
Vous avez donné, monsieur, de justes louanges à la tragédie de la Mort de Cesar, lorsque vous avez dit qu'elle porte l'empreinte de son Auteur, c'est-à dire, d'un grand génie, & d'un grand Ecrivain; qu'on y admire plusieurs pensées vives, mâles, & neuves, & de fort beaux vers.
Mais vous ne devriez pas, ce me semble, ajouter, par exclamation; Qu'il y en a de foibles & de durs! Que d'expressions vicieuses! Que de mauvaises rimes!Si vous aviez lu cette pièce avec plus d'attention, je suis persuadé, mr, que vous auriez reconnu que m. de V. n'a jamais rien écrit avec plus de force & de génie.
Les défauts de versification sont assurément en très petit nombre; encore sont ils la plupart sur le compte de l'éditeur inconnu, qui malgré les précautions qu'on avait prises, a tiré secrètement une copie de la pièce sur les rôles distribués aux jeunes acteurs qui l'ont représentée, & l'a fait imprimer avec des fautes si grossières, qu'il serait ridicule de les imputer à l'auteur. Brutus, dites vous, reconnoît Cesar pour son père, & ne laisse pas de vouloir l'assassiner. Permettez moi de vous dire, mr, que vous vous êtes un peu trompé sur cet article. Rappelez vous la dernière scène du second acte, où Cesar déclare à Brutus qu'il est son père. Les remords s'élèvent alors dans le cœur de Brutus; il se trouble, il ne peut parler; Cesar l'embrasse & lui dit:
Rien de plus grand, rien de plus touchant que cette scène, qui finit par une menace terrible de la part de Cesar, & par ces paroles de Brutus,
Vous voyez qu'après avoir connu que Cesar est son père, il n'a plus le dessein de l'assassiner, & qu'il cherche au contraire celui de le sauver.
Dans la seconde scène de l'acte suivant, il témoigne aux conjurés l'embarras que lui cause sa qualité de citoyen jointe à celle de fils d'un tyran. Il a honte d'être né d'un tel père;
C'est en vain que Cassius s'efforce d'étouffer en lui la voix de la nature, par ce discours qu'il lui adresse; digne d'un ardent républicain, & également énergique & sublime.
Ce discours, si capable de faire impression sur un citoyen courageux, & passionné d'ailleurs pour la liberté publique, ne sert qu'à jeter Brutus dans un plus grand embarras.
Il sait qu'il est lié avec les conjurés par un serment solennel, fait au pied de la statue de Pompée; mais il ne peut se résoudre à l'accomplir par un parricide.
Brutus a enfin un dernier entretien avec Cesar, à qui il dit:
Il découvre ensuite à Cesar que sa vie est en danger,
puis se jetant à ses genoux il ajoute:
Le voyant infléxible, il se retire enfin en gémissant. Est ce là ce Brutus plus Quakre que Stoïcien, qui a des sentimens plus monstrueux qu'heroïques?Si Cesar fut dans la suite assassiné par les conjurés, Brutus ne paraît point tremper dans ce meurtre. L'auteur s'est bien gardé de le rendre coupable de parricide.
On se plaint que Cesar n'est point assez grand dans cette pièce. La réponse est que Brutus en est le héros, & que la mort d'un tyran, & non la gloire de Cesar en est l'objet.
La neuvième scène du dernier acte peut à la vérité passer pour un peu superflue, dans le système des tragédies communes. Mais il faut considérer que c'est ici une tragédie d'une espèce particulière. Cette neuvième scène est très morale & très touchante; outre qu'elle sert à faire connaître l'inconstance du peuple, elle contribue aussi à faire rendre un juste hommage aux grandes vertus de Cesar, & à faire déplorer le sort d'un si grand homme. Au reste cette scène est traduite presque mot pour mot de Shakespear, fameux tragique anglais. Mais elle est tronquée & toute défigurée dans l'imprimé. . . . Je suis, &c.