28e auguste 1766, au château de Ferney
Je sens, Monsieur, tout le ridicule de répondre le 28e aoust, à une Lettre du 16e juin; mais je vous avouerai qu'aiant été malade et aiant égaré vôtre Lettre dans un tas de papiers beaucoup moins utiles qu'elle, je ne l'ai retrouvée qu'aujourd'hui.
J'ai d'ailleurs été fort occupé de l'affaire des Sirven qui ressemble trop à celle des Calas. C'est un père et une mère accusés d'avoir noié une de leurs filles, assistés tout deux dans cette expédition de deux autres de leurs filles, le tout par principe de pieté. Ce serait assurément le temps de faire paraître vôtre livre sur le suicide, et je ne conçois pas comment on a pu dans Liège s'opposer à sa publication. Il y a dans cette ville un Libraire nommé Bassompierre qui imprime tout, et qui ne demande permission à personne.
Vous voiez, Monsieur, qu'on rend d'étranges jugements à Paris comme en province. Deux jeunes gens condamnés à être brûlés vifs pour n'avoir pas ôté leur chapeau devant une procession, et pour avoir chanté des chansons prophanes, sont un exemple qui a fait frémir tout Paris, et sur lesquel je ne préviendrai pas vos réflexions. Ce monde cy est un cahos d'horreurs qui excusent bien ceux que vous justifiés d'imiter Brutus, Cassius et Caton. Je n'en suis pas encor là, je laisse faire la nature.
Comptez, Monsieur, sur les sentiments d'estime et d'amitié que vous m'avez inspirés, et que je conserverai le peu de temps qui me reste à vivre.
V.