9e auguste 1775
Je suis enchanté, Monsieur, de vos Lettres et de vos reproches; mais pour ces reproches si aimables je vous jure que je ne les mérite pas.
Si j'avais eu l'envie et le pouvoir de faire un tour dans le païs de Vaux, ce serait assurément à Fantaisie que je donnerais la préférence quand le seigneur de Fantaisie serait dans son château. Mais mon triste état ne me permet pas de pareilles courses. Il faut que j'attende chez moi tout doucement la fin de mes maladies dont la mort m'a bien la mine de me délivrer bientôt. Je ne compte point finir comme vôtre brave aumônier; il ne m'apartient pas de mourir en Caton, n'aiant pas vécu comme lui.
Aureste, je ne suis point surpris que vôtre homme se soit ennuié à la lecture du livre de Formey contre le suicide, au point d'être tenté de faire tout le contraire de ce que ce bavard recommande.
A l'égard de vôtre jeune homme qui s'est donné tant de coups de canif, c'est assurément un mauvais raisonneur, car pourquoi faire en cinquante fois, ce qu'on peut faire en une?
En général je ne blâme personne, et je trouve très bon qu'on sorte de sa maison quand elle déplait, mais je voudrais qu'on attendit aumoins huit jours; car personne n'est sûr de penser de la même façon huit jours de suitte.
On commence à imiter en France vôtre gouvernement suisse, on veut ménager le peuple, on le délivre des Corvées; tout le monde crie hosanna! Pour moi je suis comme Gilles le niais qui fait ses petits tours à six pouces de terre, pendant que les voltigeurs dansent dans la moienne région de l'air. J'ai la vanité d'achever ma petite ville, quoique je sois très sûr de mourir à la peine.
Je vous embrasse, je vous regrete, et je vous prie de me conserver vôtre amitié.
Le vieux malade de f…