1776-03-19, de Pierre Jacques Claude Dupuits à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur,

On m'a dit hier que vous donnés l'exemple vous même en faisant travailler à la grand route, et que les habitants de vôtre terre avaient tous offerts de contribuer volontairement.
Permettés-moi de vous faire observer qu'il est à craindre que nous ne donnions par là des armes contre nous à l'intendant; du moment qu'il y aura une imposition, où une contribution, cet argent selon les termes précis de nôtre édit, ne pourra plus être délivré aux travailleurs que sur les ordonnances de Monseigneur, et c'est ce qu'il faudrait éviter. D'ailleurs il me parait encore qu'il serait à souhaiter que les chemins se pussent faire sans faire aucune imposition, cela nous procurerait le double avantage, et de moins dépendre de l'intendant, et de payer moins; or, Mon cher papa, nous avons tout ce qu'il faut pour cela, les bénéfices que les états font sur la vente des sels. Effectivement si on nous fait payer un impôt pour tenir lieu des corvées; à quoi Mrs les sindics employeront-ils 25 où 30 m. livres qu'ils auront en caisse toutes les années tant sur les sels, que sur les Revenambons des 20èm es, & leurs autres revenus? et du moment que chaque individû n'en verra pas faire un usage util, et qui le délivre de la corvée, où de l'impôt de la corvée, il aura le droit de réclamer contre ce droit que les états ont d'augmenter le prix du sel, mais qu'ils ne peuvent avoir légitiment qu'en faisant retourner tout ce profit à l'avantage du païs. En se servant de cet argent pour faire les chemins, l'intendant ne peut plus nous gêner; les chemins se trouveront réparés, et l'entrepreneur payé sans qu'on ait eû besoing de lui. Je vous supplie de vouloir bien peser mes raisons avant d'écrire à Monsieur Turgot. Je n'ai pas pû aller vous faire ma cour, j'ai moi même de rudes corvées, des fontaines qui ne coulent pas, des massons qui ne peuvent pas travailler parceque je n'ai pas pû leur faire apporter des pierres &c. &c.

Reçevés les assurances du tendre, et profond Respects de tous vos enfants.

Dupuits