1776-05-01, de Louis Gaspard Fabry à Claude Charles de Brosses, comte de Tournay.

Monsieur,

M. de Trudaine arriva hier au soir à six heures chés M. de Voltaire escorté de notre maréchaussée et d'environ 100 dragons et cavaliers de Fernex en uniforme qui étoient allés l'attendre sur la limitte de Geneve, car il avoit mis pied à terre au logis du sr [? Déjean] à Secheron où il dina.
J'avois envoié de grand matin un exprès au château de Fernex pour en avoir des nouvelles mais mon exprès ne revint qu'à 4 heures avec une lettre du sr Wagniere, secrétaire de m. de Voltaire, par laquelle il me marquoit que m. de Trudaine souperoit et coucheroit à Fernex. J'hésitois un peu si j'y irois mais il étoit déjà bien tard et ne sachant d'ailleurs où prendre m. Emery pour venir avec moi en habit noir et en petit manteau je pris le parti d'écrire à m. le Doien qui étoit descendu dès le matin à Fernex, pour le prier de faire dire à m. de Trudaine que les sindics des 3 ordres du Pais, empressés de luy rendre leurs hommages, luy faisoient demander où et à quelle heure ils pourroient se présenter. M. le Doien fit luy même la commission, il va chès m. de Voltaire se fait présenter par m. l'abbé Mignot et trouve l'occasion belle pour débiter un mauvais compliment. Il se mit en devoir de haranguer lorsque m. de Trudaine pour luy en donner le tems luy parla de la libération de la province. Alors le Doien remplit l'objet de sa mission et m. de Trudaine luy répondit qu'il retourneroit coucher à Secheron et qu'il recevroit avec plaisir mm. les sindics entre neuf et dix heures du matin. M. le Doien m'en aiant informé par une lettre que j'ai reçu hier à dix heures du soir j'en fis part aussitôt à m. Emery et nous convinmes que nous partirions ce matin à 7 heures pour nous rendre à Secheron et que nous prendrions en passant à Fernex m. Castin, ce que nous avons fait. Nous sommes arrivés tous les trois à Secheron à 9 heures et demi. Il avoit été convenu en chemin, que m. Castin me cedderoit l'honneur de porter la parole d'autant qu'il n'avait fait que préparer un simple remerciement en deux mots aulieu que j'avois rassemblé dans mon discours tout ce qui étoit analogue à notre affranchissement de la ferme généralle et ce qu'il y avoit de plus interressant à dire à cette occasion. La même chose avoit été encore convenue depuis notre arrivée au logis de Secheron mais aussitôt que m. de Trudaine a paru dans une salle où nous l'attendions m. Castin s'est avancé pour le haranguer mais m. de Trudaine a feint de ne pas s'en appercevoir, il s'est détourné pour avancer luy même une chaise auprés du feu et nous a invité à nous assoir en nous témoignant la satisfaction qu'il avoit d'avoir pu contribuer en quelquechose au bonheur de notre joli petit pais. Alors la conversation est devenue généralle et tous nos complimens ont été de [? suite]. Nous avons parlé de l'imposition dont m. de Trudaine est fort disposé à faire supporter un tiers par l'industrie et les non propriétaires, il nous a dit comme mr votre frère nous a fait l'honneur de nous le marquer que les fermiers généraux ne vouloient nous donner que du sel rouge des isles de Hieres pour prévenir les versemens frauduleux en Bugey, mais nous luy avons répondu qu'une expérience de deux ans nous avoit appris que la qualité de ce sel étoit préjudiciable à la fabrication des fromages qui faisoit le ppal commerce du pais et que la répugnance de nos habitans a encore été si grande qu'à quelque prix qu'on le mit ils préféroient de s'en aller approvisionner chés l'étranger. M. de Trudaine nous a ensuite proposé du sel des salines de Montmoran et de Salins mais nous luy avons observé que ce sel à cause des frais de transport ne pourroit que revenir rendu à Gex à un prix beaucoup plus haut que celui de Mouttiers en Savoie et que conséquemment le débit s'en feroit trés difficilement. Enfin nous en sommes venus au sel de Peccais qui est le seul qui nous convienne et nous en avons demandé 3000 minots en assurant comm'il est très vrai que cette quantité n'excédant pas nos besoins il n'étoit point à craindre que l'on en revendât en Bugey. M. de Trudaine a paru entrer dans nos représentations mais il n'est pas trop d'avis que nous bénéficions sur le sel par l'aprehension que le bénéfice ne nous échape et que le fermier ne s'en empare; il a encore été question de l'adjudication qui a été affichée des réparations des grandes routes. M. Aubry a mis méchamment cette affaire sur le tapis en imputant au Doien qui étoit fort embarrassé d'être l'auteur de cette belle entreprise que le doien a tâché de justifier mais que m. de Trudaine a fort blâmé en disant que la déclaration du Roy ne donnoit point ce pouvoir aux sindics. Il paroit que m. de Trudaine seroit d'avis de ne donner qu'une seulle adjudication pour touttes les routes ce qui seroit très préjudiciable aux intérêts de la province en général et à celui des communautés particulières. Enfin notre conférence aiant pris fin nous avons pris congé de m. de Trudaine qui en nous accompagnant m'a dit qu'il espéroit d'avoir le plaisir de me revoir pendant son séjour dans ce pais qui doit être de cinq ou six jours étant venu pour le port de Versoix qu'il doit aller voir demain le matin si la bize cesse et de là venir diner à Fernex où je me propose de me rencontrer. Voilà m. le détail de notre voiage d'où j'ai été de retour chés moi à deux heures.

Si vous voulés voir m. de Trudaine vous pourriés aller un matin à Secheron. Il a avec luy Madame D'Invau et un parent de m. Delatourdupin.

Voici la copie que vous me demandés du projet d'instruction pastoralle concernant les chemins, c'est effectivement une pièce d'éloquence à conserver.

J'ai l'honneur d'être avec un respect infini

monsieur

Votre trés humble et trés obéissant serviteur

Fabry

Pardonnés mon verbiage que vous aurés sûrement bien de la peine à déchifrer.

J'avois prié le sr Wagniere d'envoier hier un exprès à m. de Verny ce qu'il a fait mais j'ignore si m. de Verny est rentré, nous ne l'avons point vû.

Je vous prie de présenter mon respect à m. le comte de la Forest et de luy dire que toutes les lettres qu'il m'adressa hier au soir sont parties.