aux Délices 1er xbre 1760
Il y a monsieur peu de voiageurs comme vous, et surtout peu de maitres des requêtes.
On voiageait autrefois pour être instruit et vous êtes venu pour instruire. Ce serait encor peu de chose si vous n'aviez pas le talent de plaire. Il m'est revenu que vous avez fait la conquête de mrs de Berne comme la nôtre. Je vous crois à présent à Paris; et j'imagine que vous n'y resterez pas long temps. Vous serez envoyé dans quelque intendance. Dieu veuille que vous y trouviez des gens dignes de vous et de votre façon de penser. Il y en a quelques uns, mais ils sont bien rares. Il se forme des jeunes gens: ceux de l'ancienne école ne méritent pas qu'on leur parle. Je suis inconsolable que L'intendance de Dijon semble ne vous pas regarder. J'espérerais que vous verriez une seconde fois le lac de Geneve, et je serais bientôt en état de vous offrir une cellule plus ample et plus honnête que celle que vous avez daigné habiter avec Confucius. Ma nièce et tous ceux qui ont eu l'honneur de vous voir ne parlent que des regrets que vous leur laissez, et je me vante d'être pour le moins aussi fâché qu'eux tous de vous avoir vu partir.
Permettez moy monsieur de me prévaloir de cette occasion pour vous servir suivant votre goust, c'est à dire pour vous prier de rendre un bon office. Il s'agit de notre petite province de Gex, grande comme la main. Vous n'êtes point son intendant, mais vous pouvez être son protecteur. Elle a un procez au bureau de Mr de Trudaine pour son sel contre un directeur receveur du grenier ethnicum seu publicanum et furem, dumoins nos sindics le prétendent furem. Nous redemandons notre pitance de sel. Surtout nous supplions monsieur de Trudaine de nous juger au plus vite. Il est votre ami, la province vous aura grande obligation si vous voulez bien avoir la bonté de recommander et de presser notre affaire. Pardonnez moy monsieur si je commence par vous demander une grâce dans le temps que je ne devrais être occupé que de vos bontez et n'avoir d'autre idée que celle du bonheur que j'ay eu de vous posséder. Recevez mes tendres respects. Vous avez gagné pour jamais le cœur de v. t. h. ob. sr
le vieux Suisse du mont Jura V.