à Neuville le 25 Mars 1776

Oh! je comprends de reste, mon ami, combien, trop accablé déjà de la multitude d'ennuis et d'affaires, la race avide, chicaneuse et querelleuse des Gexois, surtout lorsqu'elle est dirigée par un très méchant et trés insolent homme qui s'est fait chasser par le Roy de Prusse, qui traite da poco son petit baillage, en veut prendre la Vice royauté que je craignois qui ne tombât entre les mains de Fabry, lequel nous est pourtant nécessaire et qu'il faut soutenir.
D'ailleurs comme il nous a utilement servi dans l'occasion, je trouve qu'il ne seroit pas bien de l'oublier.

Ta longue lettre en réponse à celle de Turgot est on ne peut mieux, l'aura, à ce que j'espère, calmé, et fait revenir des mauvaises impressions qu'on lui en avoit données; mais tu as oublié une raison bien transcendante qui est que le sel ne peut être vendu moins de 3^s sans quoy les étrangers L'enléveroient tout et qu'à ce prix si le pays n'en n'obtient pas du Roy et de la ferme la quantité qui luy est nécessaire, il faudra qu'il donne le bénéfice d'environ 9^lt par quintal à l'étranger, ce qui très assurément n'est pas l'intention du ministère.

Voilà copie de la lettre de la Forest et extrait de celle de Verny, plutôt que de te faire un gros fagot. Tu y verras, ce que tu sçavois déjà trop, combien la race est sotte, le vieillard du mont Crapax insolent, et toute cette race insupportable. Tu jugeras comme moy que les 2000 écus qu'il fait espérer de diminution sur l'impôt de 30000^lt ne sont qu'un vrai leurre pour se rendre important, se donner l'air de crédit vers les bas adulateurs, mais vous sçaurés assés ce qui en est là bas par le Trudaine vers qui il faudra bien tâcher de faire assurer à l'avenir 3 ou 4000 minots de sel au moins pour ne plus porter notre bénéfice à Berne, car ces 4000 minots au prix de Geneve nous réduiroient notre imposition à presque rien. Mais voilà te rompre assés les oreilles du pays de Gex. Il est malheureux que mon triste état m'empêche absolument de pouvoir rien faire, sûrement là bas je les aurois retenu sur bien des mauvaises démarches et surtout de ne plus s'assembler à Fernex où l'homme n'est qu'un particulier sans caractère. Nous verrons si je m'y pourrai trainer dans une douzaine de jours; j'attends aujourd'huy ma nouvelle femme de charge qu'il faut bien un peu mettre au fait avant de L'emmener. Pour vous c'est donc dans huit jours que vous partés pour aller prendre un peu de repos dans le tourbillon de Paris. Faut espérer que l'on ne vous en sortira pas aussy si vite, rien ne les pressant tant de les faire passer dans les provinces; ce n'est pas celuy des jurandes qui trouvera le plus de difficulté chés vous, à ce que je crois, mais c'est entêtement de multiplier les vingtièmes; qu'il fasse aussi payer des vingtièmes au commerce; cecy est de mauvaise augure pour vos remontrances et pour notre imposition du pays de Gex….