à Ferney 18e février 1776
Il n'y a point, Monseigneur, de malade plus importun que moi.
Il faut que je vous ennuie de mon lit autant qu'on vous ennuie à Paris par des remontrances.
J'aprends de mon Curé (qui ne me confesse pourtant point) qu'on trouve mauvais que nos Etats aient traitté avec Berne pour saler nôtre pôt. Je vous assure que nos Etats n'ont fait aucun traitté avec Berne. Ils ne sont point du corps Diplomatique. Nous manquions absolument de sel dès la fin de Décembre dernier. On nous en a vendu deux mille minots, soit à Nyon dans la Suisse même, soit à Genêve. J'en ai acheté pour ma part huit quintaux; car, si le sel s'évanouissait avec quoi salerait-on?
J'ose vous représenter qu'il nous faudrait environ cinq mille minots, parce que nous comptons en donner prodigieusement à tous nos bestiaux, dans la crainte trop bien fondée de L'Episootie, et parce que je compte en semer sur mes champs avec mon bled, pour détruire l'ancien préjugé qui fesait autrefois répandre du sel sur les terrains qu'on voulait fraper de stérilité. Un peu de sel, aucontraire, versé sur les terres glaiseuses, est un des meilleurs engrais possibles. C'est une expérience de phisique et de labourage.
Je vous demande en grâce, Monseigneur, de n'être point fâché contre nos Etats, qui n'ont proposé, ni signé aucun traitté avec personne. C'est de quoi je vous réponds sur ma vie, laquelle ne tient qu'à un filet, et laquelle est à vous avec respect et reconnaissance.
Le vieux Malade V.