aux Délices 26 [March 1759]
Vous me parlez monsieur le major des gardes, de courre un lièvre. Vous avez l'air d'en courir plus d'un à la fois et de les prendre. Un pauvre vieillard comme moy n'est plus fait pour la fatigue. Je garderai vos manteaux, c'est le rôle qui me reste. Je suis un peu occupé àprésent à rebâtir à la moderne un châtau du douzième siècle. Je garde mes tours et mes machicoulis pour tirer sur le prètre de Vevai quand il passera sur mes états. Notre ami de Bottens n'a pas eu la fermeté que j'attendais de sa mine noble, et de sa taille de cinq pieds sept pouces et de son caractère. J'aurais parié qu'il aurait donné quelques coups de pied au cu de ses impertinents confrères.
Je pars dans l'instant pour Ferney. Je vais presser cinquante ouvriers premièrement pour être en état de venir aux rois me présenter en qualité d'Orgon ou de Géronte, et ensuitte pour avoir de quoy vous recevoir vous et made d'Hermanches quand vous nous ferez l'honneur de venir au petit pays de Gex. Vous y ordonnerez un petit téâtre, vous obtiendrez que madame d'Aubonne y peigne de sa belle main quelque bout de décoration, et qu'elle honore la scène de quelque rôle qu'elle embellira. Madame d'Hermanche fera verser des larmes. Vous nous enchanterez par l'universalité de vos talents. Nous vous donnerons une fête de village. Vous serez complimenté par le bailli, et les sujets vous salueront de trois salves. Nous avons un tambour dont nous allons faire recoudre la peau. Je ne suis pas trop bien dans la mienne. Ma santé n'est pas des plus brillantes, mais mon cœur sera à vous tant qu'il battra dans son léger et chétif étui. Toutte ma famille présente ses obéissances à monsieur et me d'Hermanches et à toutte votre famille.
V.