J'ai une plaisante grâce à vous demander monsieur.
Je remarquai, lorsque vous me faisiez l'honneur d'être dans mon taudis, que vous ne soumettiez jamais votre joli visage à la savonnette, et au rasoir d'un valet de chambre qui vient vous pincer le nez, et vous échauder le menton. Vous vous serviez de petites pincettes fort commodes, assez larges, armées d'un petit biseau qui embrasse la racine du poil sans mordre la peau; j'en use comme vous, quoiqu'il y ait une prodigieuse différence entre votre visage et le mien, mais il faut que cet art soit bien peu en vogue, puisque je n'ai pu trouver ni à Genêve ni à Lyon une seule pince supportable, il n'y en a pas plus que de bons livres nouveaux. Je vous demande en grâce de vouloir bien ordonner à un de vos gens de m'acheter une demi douzaine de pinces semblables aux vôtres. Il n'y aurait qu'à les envoyer dans une lettre à m. Tabareau, en le priant de me les faire parvenir à Geneve.
Il est vrai que voilà une commission bien ridicule. J'aimerais bien mieux pincer tous les mauvais poètes, tous les calomniateurs, tous les envieux que de me pincer les joues. Mais enfin j'en suis réduit là. Je suis comme les habitants de nos colonies qui ne savent plus comment faire quand ils attendent de l'Europe des aiguilles et des peignes. Enfin les petits présents entretiennent l'amitié, et je vous serai très obligé de cette bonté.
à Ferney ce 1er xbre 1766