1755-04-02, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis François Armand Du Plessis, duc de Richelieu.

On me mande que mon héros a repris son visage.
Il ne pouvait mieux faire que de garder tout ce que la nature luy a donné. Vous êtes donc quitte monseigneur (au moins je m'en flatte) de votre maladie cutanée. Il était bien injuste que votre peau fût si mal traittée après avoir donné tant de plaisirs à la peau d'autruy. Mais on est quelque fois puni par où on a péché.

Je me mêle aussi d'avoir une dartre. On dit que j'ay l'honneur de posséder une voix aussi belle que la vôtre. Si j'ay avec cela une érésipèle au visage, me voylà votre petite copie en laid. Mr de Montconseil doit avoir la face couverte d'un èrpès considérable.

Un grand acteur est venu me trouver dans ma retraitte, c'est le Kain, c'est votre protégé, c'est Orosmane, c'est d'ailleurs le meilleur enfant du monde. Il a joué à Dijon et il a enchanté les bourguignons. Il a joué chez moy et il a fait pleurer les genevois. Je luy ay conseillé d'aller gagner quelque argent à Lyon au moins pendant huit jours en attendant les ordres de M. le duc de Gesvres. Il ne tire pas plus de deux mille livres par an de la comédie de Paris. On ne peut ny avoir plus de mérite ny être plus pauvre. Je vous promets une tragédie nouvelle si vous daignez le protéger dans son voiage de Lyon.

Nous vous conjurons madame Denis et moy de luy procurer ce petit bénéfice dont il a besoin. Il vous est bien aisé de prendre sur vous cette bonne action. M. le duc de Gesvres se fera un plaisir d'être de votre avis et de vous obligé. Ayez la bonté de luy faire cette grâce. Vous ne sauriez croire à quel point nous vous serons obligez. Il attendra les ordres à Lyon. Ne me refusez pas je vous en supplie. Laissez moy me flatter d'obtenir cette faveur que je vous demande avec la plus vive instance. Il ne s'agit que d'un mot à votre camarade, les premiers gentilhommes de la chambre ne font qu'un. Pardon de vous tant parler d'une chose si simple et si aisée, mais j'aime à vous prier, à vous parler, à vous dire combien je vous respecte, combien je vous aime, à quel point vous serez toujours mon héros, et avec quelle tendresse respectueuse je serai toujours à vos ordres.

V.