1757-06-04, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis François Armand Du Plessis, duc de Richelieu.

Ma conscience m'oblige Monseigneur de vous présenter les remontrances de mon parlement.
Ce parlement est le parterre. Je suis assassiné de lettres qui disent que le Kain est le seul acteur qui fasse plaisir, le seul qui se donne de la peine, et le seul qui ne soit pas payé. On se plaint de voir des moucheurs de chandelle qui ont part entière, dans le temps que celuy qui soutient le téâtre de Paris n'a qu'une demi part. On s'en prend à moy, on dit que vous ne faites rien en ma faveur, et on croit que je ne vous demande rien. Cependant je demande avec instance. Je conviens que Baron avait un plus bel organe que le Kain, et de plus beaux yeux, mais Baron avait deux parts, et faut il que le Kain meure de faim parce qu'il a les yeux petits et la voix quelquefois étouffée? Il fait ce qu'il peut. Il fait mieux que les autres. Les amateurs font des vers à sa louange, mais il faut que son métier luy procure des chausses. Il n'a que la moitié d'un cothurne. Je vous conjure de luy donner un cothurne tout entier.

J'aimerais mieux vous écrire en faveur de quelque prussien que vous auriez fait prisonier de guerre, vers Magdebourg; mais puisqu'àprésent vous êtes occupé d'emplois pacifiques, soufrez que je vous parle en faveur d'Orosmane, de Mahomet et de Gengis Kan. Les héros doivent ils laisser mourir de faim les héros? On dit que vos chevaux manquent de fourage en Vestphalie, et qu'on leur donne du jambon. Pour dieu faittes donner à dîner à le Kain tout laid qu'il est.

Vous avez dû recevoir les dernières volontez de L'amiral Bing. Les miennes sont que je vous serai attaché toutte ma vie avec le plus tendre respect.

V.