1757-02-19, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis François Armand Du Plessis, duc de Richelieu.

Oui sans doute, mon héros, le secrétaire de la république de Platon aurait ri et dit quelques bons mots, car il en disait, mais tâchez de n'en pas dire.

Votre lettre sur ce pauvre amiral Bing, luy a valu du moins quatre voix favorables quoyque la pluralité l'ait condamné à la mort. Il se passe dans tous les états des scènes singulières et aucune ne vous surprend.

Je vous attends toujours ou dans le conseil, ou à la tête d'une armée. Si les services et la capacité donnent les places sous un monarque éclairé, vous avez assurément plus de droits que personne. Mais quelque place que vous ajoutiez à celles que vous occupez, il y en a une que les rois ne peuvent ny donner ny ôter, c'est celle de la gloire. Jouissez de ce beau poste, il est à l'abry de la fortune.

Je vous assure monseigneur que vous prêchez à un converti quand vous me conseillez de ne me rendre ny aux coqueteries du Roy de Prusse ny aux bontez de l'impératrice de Russie. Je préfère ma retraitte à tout, et cette retraitte est d'ailleurs absolument nécessaire à un malade qui tient à peine à la vie.

Permettez que je vous envoie ce qu'on m'écrit sur le Kain. S'il a tant de talents, s'il sert bien, est il juste qu'il n'ait pas de quoy vivre quand les plus mauvais acteurs ont une part entière? C'est là l'image de ce monde. Puisque vous daignez descendre à ces petits objets, mettez y la justice de votre cœur, et protégez les talents.

Madame Denis et le Suisse V. vous présentent leurs plus tendres respects.