1757-02-13, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis François Armand Du Plessis, duc de Richelieu.

Le fragment de votre lettre sur l'amiral Bing, monseigneur, fut rendu à cet infortuné par le secrétaire d'état afin qu'elle pût servir à sa justification.
Le conseil de guerre l'a déclaré brave homme et fidèle. Mais en même temps par une de ces contradictions qui entrent dans tous les événements, il l'a condamné à la mort en vertu de je ne sçai quelle vieille loy, en le recommandant au pouvoir de pardonner qui est dans la main du souverain. Le parti acharné contre Bing crie àprésent que c'est un traitre qui a fait valoir votre lettre comme celle d'un homme par qui il avait été gagné. Voylà comme raisonne la haine, mais les clameurs des dogues n'empêchent pas les honnestes gens de regarder cette lettre comme celle d'un vainqueur généreux et juste qui n'écoute que la magnanimité de son cœur.

Je crois que vous avez été un peu occupé depuis un mois de la foule des événements ou horribles, ou embarassants, ou désagréables qui se sont succédez si rapidement. Les gens qui vivent philosofiquement dans la retraitte ne sont pas les plus à plaindre. Je crains d'abuser de vos moments et de vos bontez par une plus longue lettre. Il faut un peu de laconisme avec un Ier gentilhomme de la chambre qui a le roy et le dauphin à servir et avec celuy qui est fait pour être dans les conseils et à la tête des armées.

Madame Denis vous idolâtre toujours et il n'y a point de Suisse qui vous soit attaché avec un plus tendre respect que le Suisse V.