31 8bre 1769
Je ne peux trop vous remercier, monsieur, des éclaircissements que vous avez la bonté de me donner sur les événements dont vous avez été témoin.
Permettez moi de répondre par une petite anecdote aux vôtres. C'est moi qui imaginai d'engager mr le maréchal de Richelieu à faire ce qu'il pourrait pour sauver la vie à ce pauvre amiral Bing. Je l'avais fort connu dans sa jeunesse et afin de donner plus de poids au témoignage de m. le mal de Richelieu, je feignis de ne le pas connaître. Je priai donc votre général de m'écrire une lettre ostensible, dans laquelle, il dirait qu'ayant été témoin de la bataille navale, il était obligé de rendre justice à la conduite de l'amiral Bing, qui étant sous le vent n'avait pu s'approcher du vaisseau de mr de la Gallissoniere. M. le mal eut la générosité d'écrire cette lettre; je l'envoyai à mr l'amiral Bing, elle fit impression sur l'esprit de deux juges du conseil de guerre, mais le parti opposé était trop fort.
Vos réflexions, monsieur, sur cette mort sont bien justes et bien belles. Je crois comme vous qu'il est fort égal de mourir sur un échafaud ou sur une paillasse, pourvu que ce soit à quatre-vingt-dix ans.
Je n'ai pu faire autre chose à l'égard de mr de Bussi que de la croire sur sa parole. C'est le seconde de ceux qui portent nouvellement ce nom avec qui la même chose m'est arrivée.
Je n'ai fait que copier ce que le frère de mr d'Assas et le major du régiment m'ont mandé.
Si j'avais été assez heureux, monsieur, pour recevoir vos instructions plus tôt, j'aurais corrigé l'édition in 4. qu'on vient d'achever. Il n'est plus temps et je n'ai que des remords.
Ma nièce en arrivant de Paris, m'a parlé de Michon et Michel. On dit que c'est une satire violente contre trois membres du parlement que dieu merci je n'ai jamais connus. Il faut que celui qui a été assez hardi pour la faire, soit bien lâche de me l'attribuer. Cet ouvrage par conséquent ne peut être que d'un coquin. D'ailleurs, le titre de la pièce annonce, ce me semble, un ouvrage du pont neuf. Ce n'était pas ainsi qu'Horace et Boileau intitulaient leurs satires.
Au reste, j'aurai l'honneur de vous envoyer dans quelques jours une nouvelle édition des Guebres avec beaucoup d'additions, et un discours préliminaire assez philosophique que je soumettrai à votre jugement.
S'il me tombe sous les mains quelque ouvrage passable imprimé en Hollande, je vous l'enverrai, sous l'adresse que vous m'avez prescrite, à moins que vous ne donniez un contre-ordre.
Adieu, monsieur, conservez moi des bontés dont je sens si vivement tout le prix.
J'oubliais de vous parler du meurtre de Lally; vous savez que les Anglais n'aiment pas les Irlandais, et que Lally était surtout un des plus violents jacobites. Cependant toute l'Angleterre s'est soulevée contre le jugement qui a condamné Lally. On l'a regardé comme une injustice barbare; et j'ai vu quelques livres anglais où l'on ne parle qu'avec horreur de cette aventure. Joignez y celle de la Bourdonnais, et vous aurez le code de l'ingratitude et de la cruauté. Mais les Anglais ont aussi leur amiral Bing.