Aux eaux de Rôle en Suisse 4 août 1766
En réponse, monsieur, à la lettre dont vous m'honorez du 25 juillet je dois vous dire qu'il est très vrai que j'envoyai en 1757 à l'amiral Byng, quelques mois avant sa mort, les témoignages que m. le maréchal de Richelieu avait rendus à sa conduite.
M. le maréchal avait été témoin du combat naval donné près du port: j'envoyai sa lettre originale à m. l'amiral Byng; je l'avais vu à Londres en 1726, mais je ne crus pas devoir lui rappeler notre connaissance, je crus que je le servirais mieux en paraissant être ignoré de lui. Mon paquet tomba dans les mains du feu roi d'Angleterre qui l'ouvrit, & qui eut la générosité de l'envoyer à l'amiral.
La lettre de m. le maréchal de Richelieu fut présentée au conseil de guerre; elle fit pencher quelques juges en faveur de l'accusé; mais la loi était précise contre lui, rien ne put le sauver. L'amiral avant sa mort recommanda sur le tillac à son secrétaire de m'écrire qu'il mourait mon obligé, & de m'envoyer tous les écrits qui contenaient sa justification.
Voilà, monsieur, tous les éclaircissements que je puis vous donner sur cette cruelle aventure. Il semble que ma destinée ait été de prendre le parti de ceux que des juges ou prévenus, ou trop sévères ont inhumainement condamnés.
L'histoire d'Angleterre à laquelle vous travaillez, monsieur, offre plus d'un exemple de ces jugements sanguinaires, & quelque histoire qu'on lise, l'humanité gémit toujours. J'espère que la lecture de votre ouvrage sera un de mes plus grands plaisirs dans la retraite où je finis mes jours.
J'ai l'honneur, &c.
Voltaire Gentilhomme ordinaire de la chambre du roi