1756-12-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis François Armand Du Plessis, duc de Richelieu.

Je suis honteux monseigneur d'importuner, mon héros, qui a bien autre chose à faire qu'à lire mes lettres.
Mais je ne demande qu'un mot de réponse pour le fatras cy dessous.

1º un anglais vint chez moy ces jours passez se lamenter du sort de l'amiral Bing dont il est ami. Je luy dis que vous m'aviez fait l'honneur de me mander que ce marin n'était point dans son tort et qu'il avait fait ce qu'il avait pu. Il me répondit que ce seul mot de vous, pourait le justifier, que vous aviez fait la fortune de Blakney par l'estime dont vous l'avez publiquement honoré, et que si je voulais transcrire les paroles favorables que vous m'avez écrittes pour Bing, il les enverrait en Angleterre. Je vous en demande la permission. Je ne veux et je ne dois rien faire sans votre aveu.

Voylà pour le vainqueur de Mahon.

Voicy une autre requête pour le 1er gentilhome de la chambre, c'est qu'il ait la bonté d'ordonner qu'on joue Rome sauvée à la cour cet hiver sous sa dictature. La Noue quitte à pâques, et mr Dargental prétend que cette faveur de votre part est de la dernière importance.

Ce tendre Dargental me mande qu'il a poussé bien plus loin ses sollicitations, mais ce serait étrangement abuser de vos bontez qu'il ne faut certainement pas hazarder en ce temps cy. J'apprends que la Baumelle avant de faire pénitence avait aporté une édition de la pucelle où il a fouré un milier de vers de sa façon, qu'on la vend publiquement, qu'elle est remplie d'atrocitez contre les personnes les plus respectables, et que c'est l'ouvrage le plus criminel qu'on ait jamais fait en aucune langue. On donne cette horreur sous mon nom. Elle est si maladroite qu'il y a dans l'ouvrage deux endroits assez piquants contre moy même. Il y a bien des choses dignes des halles, mais il suffira d'un dévot pour m'attribuer cette infamie. Je crois que c'est un torrent qu'il faut laisser passer. La vérité perce à la longue, mais il faut du temps et de la patience.

Vous en avez baucoup de lire mes lettres au milieu de vos occupations. Votre nouvel hôtel, la Guienne, l'année d'exercice! vous ne devez pas avoir du temps de reste. J'en abuse, je vous en demande pardon. J'ose attendre deux petits mots. Je vous renouvelle mon tendre respect et me Denis se joint à moy.

Il y a des choses affreuses contre le roy dans l'abominable ouvrage de la Baumelle et de ses associez; et on laisse vendre dans Paris de telles horreurs qui sont des crimes de lèze majesté!

V.